Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/357

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luxe de gaîté que peuvent les pauvres. Petit à petit, après les chaises et la table, la vaste riche armoire péniblement acquise et les chromos piquées au mur, et les vases de verre peint où moururent des fleurs, ils piquèrent du bec toutes les économies, pour faire le nid bien tiède, et tiède aussi aux yeux, et réchauffant à l’âme, et même ô rêve ! un jour, pas tout de suite, bientôt ! — y mettre la pendule et de doubles flambeaux.

Dodo ! enfants… Ils se berçaient insoucieusement. Et ils marchaient sur toutes les craintes de l’avenir, comme sur un tapis étendu sous les pas royaux de leur espoir.

Ils trébuchèrent pourtant. L’avenir faisait des plis.

L’argent manqua.

Morte saison. L’ouvrage manqua, l’argent par suite. Et par suite le pain. Mon Dieu ! est-ce qu’ayant faim, leur amour pâlirait ? — Il y a dehors des gens qui souffrent… Que ne s’aiment-ils pas ?

Eux s’aimaient.

Mais ils aimaient aussi tout ce cadre de leur amour, ces infimes choses acquises par eux-mêmes, avec peine, embryon de luxe, graine de richesse ? pas même ; cadre mal doré, mais où leur tendresse faisait bien, — et que le malheur, qui guette à la première dette, menaçait de décrocher de ces murs et de leurs cœurs.

Venant à peine de naître, leur union s’est liée déjà, et embourbée, socialisée ! déjà dépend des autres, et attend d’eux sa vie… Ah ! la vie ! il est temps d’y songer.

— C’est ta faute !

— Ma faute ! Toi, au contraire…

Ils éclatèrent de rire. Première dispute ? Non pas.

C’était pour voir. Il faut tout connaître. Ils s’aimaient.

— Je t’aime ! je t’aime !

Elle se jeta dans ses bras.

Je t’aime ! Ils le crièrent l’un et l’autre, à haute voix. Et la misère, qui les menaçait, ils la défièrent.

Ah ! qu’elle vienne, l’affamante, la querelleuse, l’envieuse ! qu’elle vienne, cette fille naturelle du luxe, l’éteigneuse de tendresse, la marchande de rages, la misère ! Elle les trouverait ligués, de pied ferme, et tenant tête.

Pas d’ouvrage ! Libres donc ! C’était fête en semaine, comme pour les bourgeois. Ils s’aimèrent.

Pas d’huile ! La nuit ! Soit. Les baisers qu’on ne voit pas sont doux. Ils s’aimèrent.

Ils se blottirent dans leur amour, ne vendirent rien de chez eux, ne quittèrent pas un objet, pas une gaieté. Ils se privèrent de tout et conservèrent tout. La faim leur fit trouver tendres les croûtes dures qu’ils trempaient dans leur joie. Ils ne s’endettèrent même pas. L’orage passa. Alors ils sortirent de leur cache, se sourirent, et allèrent travailler. L’orage était passé. Eux n’étaient pas mouillés, ah ! ils défiaient bien.,.