Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/428

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choses, on y croit. Ils auraient moins de travail. La grève ! La grève ! Il faudra bien que l’on nous donne moins de travail.

Sois donc content, Pilleux ! tu ne travailleras plus.

Renvoyé. Pas de raison. Il sait bien trop lesquelles.

Il est celui qui entraîna. Il est le chef. Sa parole ranima les faibles, entraîna les timides ; sa parole… et le reste. Le premier, prompt à l’acte, il posa la menace de ses deux poings robustes sur la route qui eût mené les lâches au travail…

— L’administration est décidée à ne plus vous employer…

Comme il s’en va, sans retourner la tête, fier, et l’on dirait presque heureux. Il va. Les autres, solidaires, vont le suivre. C’est la guerre, Il l’accepte…

Ici, les routes se croisent. La grande route de la vie, monotone, continue. Mais une autre s’en détache, celle que l’on cherchait aux rêves de jeunesse, celle qu’on aurait prise, et qu’on cherchait en vain.

Rêves de la jeunesse…La vie vous y ramène. La route prenait un peu plus loin qu’on n’a pensé.

Mais la voici. Il s’y engage résolument.

Il s’y engage avec sa femme et son enfant.

Non, il ne frappera pas toujours du fer avec un marteau. Il se soulèvera sous la misère qui l’écrase, et d’autres s’échapperont, dégagés, avec lui. Est-ce que la révolte va luire une nouvelle fois ? De nouveau, les regards se tournent du côté de l’aurore, et la nuit du travail se teinte de lueurs…

La même guinguette, mêmes murs blafards, les drapeaux sales. Quand cela serait une étable, un dieu pourrait y naître. La salle est sombre, pleine de mystère… Qui sait !

Il n’est pas né de Dieu depuis tellement longtemps…

La même tribune aussi. Il y a triomphé. Qu’il retrouve seulement un peu de l’enthousiasme qu’il a versé ici sur la foule fébrile. Il en a tant versé qu’il a dû en rester. Il s’avance. Voici l’heure. Les camarades vont venir.

L’impatience l’exalte et le crispe. Il la contient. Il craint que s’échappe, de tout ce qui bout en lui-même, une fumée. Il est tard. Les amis sont moins exacts que de coutume. À peine deux ou trois… Ah ! qu’ils viennent, qu’ils viennent donc ! qu’ils partagent sa fièvre. Il ne peut plus la contenir… Qu’ils viennent voir le mirage ! Qu’ils viennent s’extasier…

L’attente… l’attente…

Le rêve : l’humanité meilleure, là, devant lui. Il ne sait pourquoi : des visions douces, tendres, passent. Joie de famille, joie des champs. Des choses qui seraient possibles… Des enfants dans les prés jouent à saute-mouton. Sous les saules, près de l’eau claire, des amants