Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/429

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s’entrelacent. Des toits de chaume. De grands peupliers se balancent… Les travailleurs s’en retournent, la bonne journée finie. On chante. On est très las, mais il reste, pour la joie, encore un peu de force. La bonne soupe fume, la bonne soupe chante, — à leur rencontre… Ah ! cela, cela, qu’il faut conquérir tout de suite…

On le peut ? il va dire, montrer que c’est possible…

La vision… — mais les camarades ne viennent donc pas !

La vision… — Il attend, il attend… comme on se frotte les yeux.

— Eh ! qu’on commence sans eux, s’ils ne veulent pas venir !

Si peu de monde ! On n’entraîne pas si peu de monde !

Commençons ! Il gravit les deux marches de tribune.

La vision… Elle se débat contre le réel. Il lutte, — rien qu’un instant. Car les visions ont peur, se sauvent dès que le vrai les touche…

Et le vrai, c’est la défaite ; la fuite avant le combat. L’estrade morne, la chambre sinistre, et, sur les bancs presque déserts, ici et là, des groupes goguenards, qui raillent sans doute… Le vrai, le réel… c’est lui, lui-même, le piteux orateur que nul n’écoute plus, et qui se débat, avec des gestes de désespoir, contre le vide de la salle et le vide de sa pensée.

Retourne-toi. Le troupeau est déjà loin derrière. Il se sent seul, regarde autour de lui. Personne. L’abandonnerait-on ! Nul ne cesse le travail ? Le troupeau broute. Le loup a mangé un agneau ? Peut-être !… L’herbe est tendre, et les chiens font bonne garde.

Allons, la faim ! aboye et mords. Ramène les bêtes. Que pas une ne s’égare, surtout n’aille en avant…

Les babouins que le chasseur poursuit affrontent les balles, pour aider ceux d’entre eux qui restent en arrière. Bêtes immondes, les cafards, quand l’un tombe au ruisseau, se tendent la patte… Chez les moutons, chacun pour soi, le chien pour tous.

Quand il était dans le troupeau, s’il allait en avant, les autres, collés à lui, suivaient. Neutres et flasques, dès que l’un faisait un pas, tous faisaient ce même pas, et là où il allait, ils se portaient en masse.

Mais il était dehors. On le coupait des siens.

L’hiver qui crée aux pauvres une nouvelle faim, bientôt cette bouche de plus à nourrir qu’est le feu, les ressources épuisées par la grève, la lassitude enfin de la lutte, c’était trop !

Et puis qu’est-ce qu’il raconte… Que nous veut-il encore !

Mais qu’on l’écoute ! Hier, on l’écoutait… Ses raisons… — Des raisons ! — On veut travailler moins. Soit. Combien pouvons-nous de temps tenir la grève ? Quels fonds de réserve existent dans l’entreprise dont nous sommes salariés ? Combien d’ouvriers sans ouvrage à cette heure, peuvent, à des conditions plus basses, nous remplacer ? Les bénéfices de notre usine sont de tant. Ceux des autres sont-ils moindres ! Calculons…