Page:La Revue blanche, t13, 1897.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces silences, c’était Georgette qui les rompait, levant au ciel des yeux de martyre :

Dieu de Dieu ! Ce que c’est gai ici !

L’enfant fut tout de suite victime ; la mère étant mauvaise, le battant par plaisir, quelquefois comme pour voir couler d’un autre un peu des larmes qu’elle retenait.

Elle chercha des disputes, se heurta à l’entêtement de l’homme à les éviter. Se quitter ! il était donc trop lâche pour y venir, lui !

— Elle passa à la phase plus cruelle que celle des hostilités, celle des attendrissements qui semblent le remords des grandes douleurs prochaines…

« Comme tu m’aimes… mon pauvre, pauvre Jean !… »

Et Jean regardait par terre, selon son habitude, ne répondait pas à la menaçante plainte… De quoi le plaignait-on ? Mais lui aussi, menaçant des choses en sa gorge, mâchant des vengeances, contre un sentiment vague de crainte, un incompris pressentiment, se ramassant pour la détente future.

Il gagnait vingt sous, Georgette ne faisait plus rien. Vingt sous pour trois, en plein hiver, dans la ruineuse ville. Il y avait de la soupe le matin, le soir, et du pain sec à midi.

Devant la maigre soupe qu’il fallait manger sans lumière, — depuis des mois la lampe était sans huile, et dans cette mansarde, en cette saison, à trois heures il faisait nuit, — Georgette soupirait ; le dédain allongeait ses lèvres. Jean essayait de parler ; tout se mourait dans l’ombre que bleuissaient les glaciales étoiles. Seuls des bruits montaient des joyeux dîners, dans la cour.

Le petit Jacques riait pourtant. Après les pommes de terre crues, c’était si bon le pain ! Le chétif môme n’avait pas grand’chair sur ses os tendres, en ses joues de pâle rose-thé, mais un rire de gamin, quand le père rentrait, montrait des quenottes blanches comme des pointes de muguet dans le lilas des lèvres.


De nouveau il gela.

Apparurent les pullulements d’astres en l’air déshydraté, métallisé. L’énergique atmosphère immobilisa les courants liquides. L’âpre vent fit hurler la nuit.

Dans la mansarde vide de foyer, par les fentes d’un doigt nues de bourrelets, le froid entra, chez lui, prit place.

À son approche, les trois humains tapis là-dedans se firent petits, les uns contre les autres, se tassèrent en un coin, lui firent la place bien grande, posant les armes, rendus, tremblants à la voix triomphante du vent.

Les horribles soirées passèrent dont l’ombre glaçante donnait un avant-goût de tombe. Nul n’osait interrompre la grande voix. Mornes ils restaient là, ratatinés, réduits à la plus petite surface