Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Des draps blancs, un petit lit bien doux, de hautes fenêtres claires… était-ce le Paradis où l’enfant s’éveillait ? La Terre Promise, le mieux espéré de tous grands ou petits, proche ou loin, passé la mort, ou avant elle… Et des soins de femmes si empressées, si vigilantes ! D’où venait toute cette joie ! À qui la devait-il ? Aux femmes inconnues et tristes qui le soignaient, — au médecin qui venait le tripoter avec bonté, — au Christ pendu au mur ?

À la société, petit, tu devais cela. À la société, qui votait des crédits considérables, intervenait, et te faisant conduite jusqu’à la mort, t’y apportait de la vie un regret que peut-être tu n’aurais pas eu. Oui, à la société qui ne voulait pas que tu meures, sans l’éblouissement de ce qu’elle « pourrait » faire.

Le beau pain blanc, le bouillon qui regarde si chaud, ce lait plein de crème, ce rouge puissant vin… regarde ! mange et bois, puis dors copieusement dans ce lit tiède et tendre qui caresse tout le corps…

Plus faim ! Plus soif ! Froid malgré tout. Il assistait à ces bonnes choses, sans toucher, comme jadis à travers les glaces, avec envie, il regardait les bonnes choses des étalages…

Et il n’avait de désir que pour le soleil pâlot, qui s’éveillait de l’hiver de la brume encore aux yeux, mais qui, lui, ne s’éteindrait qu’ayant fait toute sa route ; — et du désir pour les jardins et pour les arbres, pour la campagne…

Dans la cour, on voyait des fenêtres, un petit carré de campagne en cage, de campagne sous verre. Bientôt il y aurait là des fleurs… Mais là-bas, il y avait de la campagne bien plus grande. Il irait, se promènerait, voulait… Son grand désir… ! Il n’avait de désir que pour tout l’impossible.

Rien ne lui disait plus. Hier, tout lui disait tant ! il eut tant dit à tout ! Mais il était un petit Jacques nouveau, bien différent.

Lui, on l’avait laissé dans la mansarde douloureuse. Et dans la vaste salle aux petits lits alignés, on n’avait apporté du vrai Jacques qu’une fleurette fanée de figure, d’où sortaient, car l’habitude est bien forte, les mots accoutumés : j’ai froid, j’ai faim, j’ai mal…

Parfois il demandait où était son père. Puis il se demandait où il était lui-même ! Où est Jacques ? Il se sentait absent, très loin. Il se sentait qu’il ne reviendrait plus jamais.

Et languissant, il s’étonnait… oh ! de lui-même. Il ne souffrait plus ; il était bien. Mais sa petite âme… Il était venu en lui une âme d’étranger, petite âme triste qu’il ne connaissait pas, triste et pleine d’idées, raisonneuse, pensant continuellement, toujours en fièvre, mais sans que rien de l’agitation de sa tête n’anime son corps, sans que rien du bien-être de son corps n’égaie son âme.

Comme il pensait ! Ses yeux voyaient tout autre qu’ils n’avaient vu, ses yeux voyaient aigu ; et les choses en venaient à flots à sa cervelle encombrée, et si pressées, idées, images neuves, réflexions, souffrances… déjà il ne pouvait plus se reconnaître dans ce chaos, et de nouvelles idées se bousculaient pour entrer, elles voulaient en-