Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trer de suite, ensemble, n’importe comment. Pourquoi se dépêchaient-elles… Comme elles se dépêchaient !

Sa tristesse lassée n’était pas faite d’ennui ; il ne demandait ni à jouer, ni à se distraire ; il n’espérait pas se lever un jour. Peut-être resterait-il toujours allongé.

D’ailleurs, l’avenir, il ne pouvait pas y songer, tant le fiévreux présent tourbillonnait en lui. L’avenir ! C’était dimanche, et ensuite jeudi. La visite, n’est-ce pas ? le jour où ils viendront me voir…

L’heure qui sonne, les quarts d’heure que l’on compte sur ses doigts, et le soleil qui éclaire les petits lits l’un après l’autre ainsi que les signes d’un cadran, lente promenade que les jeux des petits malades suivent, tout cela entraîne, tire, hisse le temps, arrache un jour, le lundi, qui est l’échelon tout de suite après le dimanche. Ce jour-là on n’espère pas, on se souvient seulement ; mais le soir on commence à espérer déjà… On dort, on se réveille, avec un bon bout de chemin fait sans s’en apercevoir. Quand on dort, le temps file ; Que ne dort-on toujours ! Mais on s’est réveillé. Quel jour c’est-il. Jeudi ? Non. Encore le mardi, et encore un autre jour, ou deux, trois, je ne sais plus… l’infini ; rien ne va aussi loin. Le temps même n’ira jamais si loin que ça !

On aurait été trop heureux, si l’on pouvait aller jusque là. Parce que c’est sûr qu’après on aurait tout le bonheur. Riche, bien riche ! Et l’on irait là-bas, où tu dis, petit père, qu’il fait toujours soleil. Toujours soleil. Manger des fruits après les arbres. J’irai à la chasse, et je tuerai des bêtes avec un grand fusil. Je ferai paître des moutons. Et toi, moi, maman, rien que nous trois, sais-tu ? nous deviendrons sauvages.

Maman en serait-elle ? Il l’aimait bien, mais une femme, c’est gênant. Il aimait mieux avoir son père pour lui tout seul.

— Tu entends, petit père ! Nous allons à la chasse !

Il tournait le dos au jour, enfonçant de ses poings l’oreiller dans ses yeux, faisant la nuit, la nuit où l’on dort plein de rêves. Nuit volontaire autour de laquelle flotte bien le jour, mais il fait tout ce qu’il peut, de ses coudes, de son front plissé, des draps qu’il recroqueville, il se mure contre le jour, il barricade son rêve, il se crispe, cramponné de tout ce qui lui reste de force… — pour repousser l’assaut de la réalité.

Elle renonce, elle s’écarte, vaincue, la réalité. Elle n’a plus grand’chose à faire de si petit être, et cède. Les lits mornes alignés, la sèche et ennuyeuse cornette de la sœur qui rôde, les murs aux hautes fenêtres, tout cela que l’enfant ne voit pas, les yeux clos, mais qu’il sent, commence un va et vient, un grand balancement. C’est ainsi toujours que le vrai s’en va, comme un navire, l’ancre levée, que la vague soulève. Il part. Il sera loin bientôt. Comme tout danse… Une ! Deux ! Les fenêtres oscillent, lentes, se balancent d’un bout à l’autre de la pensée. Pleine mer ! La houle, les vagues géantes qui écument. On monte jusqu’au ciel. On fonce dans l’abîme. Haussé, précipité, à la