Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/147

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luminaire, certain qu’il demeurait, où il avait passé, — fût-ce dans la fumée, — une faible lueur.

Et maintenant, très vieux, de quoi eût-il parlé, sinon d’Elle ?

Et tout lui était bon pour parler encore d’Elle, même une fête, même une tombe. À qui le voulait entendre !

Il parla comme un arbre secoué qui gémit, — le dernier, qu’ont respecté la bise et la gelée ; et ses larmes tombaient comme des fruits qui se détachent.

Il s’adressa aux champs, qui nourrissent les vivants et qui gardent les morts, à la vaste nappe blanche que le cercueil vient troubler, il s’adressa au père, bon et brave compagnon qui ne devait pas se laisser abattre par le malheur, il s’adressa au petit Jacques, un gamin intelligent, que c’était vraiment dommage, qu’on l’aimait bien, qu’il aurait travaillé, serait devenu quelqu’un, un soutien de la bonne cause ! Il dit… il ne dit rien, il dit ce qu’on peut dire, n’importe quoi, qui pût faire bon sur la douleur, mots sans suite, comme pour caresser les enfants…

Un instant sa voix s’enfla, l’on crut voir revenir la jadis chaude et mordante éloquence du vieux révolutionnaire, mais le froid, l’âge et la douleur cassèrent tout ça

La voix tremble, s’étrangle et la neige fait étoupe… Plus rien qu’on puisse entendre…

— Jean !… Mon pauvre Pilleux… Malheur… épouvantable…

Et il resta, devant le trou, sans rien dire.

Tous écoutèrent respectueusement…

Car le bras du vieillard s’était levé, montrant tout ce qu’il n’avait ni mots ni force pour dire !

Oui, un malheur épouvantable qu’il meure des petits enfants, que la société laisse éteindre ces jeunes yeux qui brillent, bleuisse ces bouches roses, taise ces babils d’oiseau, couche en long dans ce champ de mort ces petits bons à vivre !

Voilà ce que dit le vieillard, debout dans ce champ du carnage d’avant toute bataille, défaite d’avant la guerre, le cimetière des enfants, plaine lugubre que Paris ensemence de morts ; et le vieillard semblait la triste sentinelle qui garde la retraite où sous la pierre, la nuit, la neige, — dedans la mort, refuge où la faim n’atteint plus, — avant de voir le feu, se sont sauvées les recrues.

Mais le vieillard dit aussi que cela changerait.

Alors ses bras tendus montrèrent les petites croix, pattes frileuses d’oiseau marquées dessus la neige, mesurèrent tout l’espace, gigantesque dortoir des bambins de Paris, tant, tant de milliers d’enfants, partis coucher trop tôt, quand le marchand de sable n’était pas encore passé, et qui n’avaient rien fait pour qu’on les mit au lit, dans leurs petits lits de fer, ou de pierre, ou de fleurs, ou de simples grabats, par terre, ou la terre nue ! Et voici que le silence du vieux fut entendu de ceux qui ne peuvent parler, et qu’il sembla à tous que la