Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/208

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tanière. Ni repu, ni las, nerveux, et affamé, il entre, et avec lui sa rage inassouvie. Dans la mansarde fétide où les humains croupissent, ce sont alors grognements et cris et pleurs, et sexes énervés qui se cherchent pour se battre. Il entre, il dit : ouf ! et menace déjà. Car elle est là, celle qui est tout son assouvissement, que jadis il cherchait pour des baisers, que plus tard il cherchera, vieille bête, pour le soigner, lui, son radotage, ses manies, ses douleurs et sa pourriture commençante, qui aujourd’hui lui fait la soupe et reçoit ses coups, celle qui toute une vie sera là pour son désir, son rut, sa faim, son envie de cogner, ou de parler, — sa femme ! — « Sa ! » la seule chose sienne, son pouvoir, sa faiblesse, centre de sa tyrannie, sa terre à lui, sa bonne terre nourricière, terre à lui, qu’à son gré il fouaille et ensemence.

Et sur quoi d’autre, donc, déborder ses instincts ? Car il a tous les vôtres, gens qui avez de quoi !

Riche ! — actions actionnantes, aventure du travail, hasard même de l’affaire, passion renouvelée de chaque chose qu’on fait, et commander, organiser… Le choix, toujours. Besogne qui prend, assouvit quelque chose de vous. Et plaisir même : sport, chasse, voyage, — action encore. Mais lui… — elle, elle seule. Il n’a qu’une proie, qu’une joie, sa femme. Elle seule. À commander, à faire souffrir, il n’a qu’elle. Il n’a qu’elle pour passer tout ce qui s’ennuie en lui.

Si l’on se battait, au moins ! L’homme est être de lutte. Combattre, combattre… Il n’a que de la faiblesse à battre.

La Révolte qu’il a rêvée ne viendra pas.

La femme, seul objet de jouissance présente, a retenu les rêves qui partaient vers l’action, vers la conquête des joies futures… — Non. Tu resteras.

Qu’elle lui donne donc ici tout ce qu’il cherchait là-bas…

Ah ! peut-être eût éclaté ce qui couvait en lui… Mais elle l’a lié, courbé aux tâches humbles, à l’effort quotidien et nécessaire du pain. Elle l’a enfermé en la geôle de ses bras. Elle l’a enfermé, lui, et la rage en lui. La rage, le désir fou… Femme, tu l’assouviras.


Il rentre. Comme il a hâte d’être là-haut, près d’elle ! Il monte vers les querelles comme jadis vers l’amour. Elle est là… Elle l’attend, hargneuse, maussade…

Il rentre et sonnent aigres les mots de l’arrivée.

Quoi ! la soupe n’est pas là ? — Mais l’argent, où est-il ? — Qu’as-tu fait ? — Qui te le demande ? — Répète, répète un peu ? Qu’as-tu dit ? Il sent l’alcool. — Elle sent l’homme. — Ivrogne ! — Putain ! — Voleur ! — Va-t’en ! — Je m’en irai. — Va-t’en ! — Va-t-en toi-même !

Qu’ils s’en aillent donc ! Longtemps déjà ils s’en défient. S’arracher l’un de l’autre ! — Mais lequel l’osera ?

Qu’ils s’en aillent donc ! L’un de l’autre et d’eux-mêmes, s’ils peuvent !