Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/265

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À l’œuvre ! Accomplissez, vous, ce qu’un homme n’a pas pu…

À l’œuvre ! Rendez le vieux monde aux végétations. Faites sortir de ses entrailles la houille qui sommeille, rendez la vie aux cadavres de ses forêts… et recouvrez de choses qui vivent sans souffrir, la face ridée, humide de larmes de ce monde, forêts mouvantes, molles, bariolées, et suintant le pus entre des lèvres pâles… Car donc enfin, croûtant la face du monde d’une horreur que des yeux ne savent pas encore, elle te sort par la face, ton âme, o Société !


Terre de haine ! on va donc être les plus forts !

Oui, la Sociale, Révolte, la dernière, la Grande !

Oh ! celle-là, on aura de si belles armées…

Celle-là, on tuera tellement, ce sera si beau…

Qu’il n’y aura rien, plus rien, même des yeux pour pleurer…

Rien. Gloire des gloires, personne même pour la chanter !


Or la bataille est proche. Les belles armées s’alignent. Comme elles sont droites ! On ne dirait pas que c’est vivant… — Déjà ?

Si ! elles vivent ! Terribles, l’une sur l’autre elles avancent…

Oh ! une seule gamelle un peu intelligente… Gamelle, obus, on ne sait quoi… Il suffirait…

Là-bas, les filles. Ce sont les filles de la Revanche. Car on emploie maintenant les femmes aux armées. Elles allaient aux chenils traire les chiennes enragées, emplissaient les obus d’un lait républicain… Et maintenant des krupps d’envergure plus féroce crachent une mort plus dense, qui féconde d’autres morts.

En ligne, les belles armées ! Belles lignes… comme de l’écriture, à lignes serrées, des lignes écrites avec de la vie, sur la plaine…

Quelle éponge vient de passer, qui efface tout !

En ordre ! Ralliez les hommes. Il n’est plus temps. En ordre… Pour le combat ! Lâches, qui fuyez… En ordre ! Par colonne ! En avant…

Qu’attendez-vous ? Le chef ? — Il n’y a plus de chef.

Eh bien ! qu’un autre le remplace… — Il n’y a plus d’autres.

N’importe qui ! qu’un soldat commande ! — Un soldat… Où ?

Belles armées ! Armées de la meilleure Revanche… Elles ont compris, avant que le commandement s’achève… elles ont compris que l’ennemi était en elles !

En avant sur elles-mêmes, les armées enragées.

Rage, rage, folie, elles se mordent, mêlent leur bave. L’ennemi, où ? L’ennemi moi-même. À mort, à mort ! Oh ! que la Mort…

— Oui… Elle vient.

Frénétiques, tous s’agitent dans l’écume et dans le sang…

Mais à la mort, nuit où toute flamme, mer où tout fleuve… — va toute rage.