Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/405

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vertu d’une jeune femme y est mieux sauvegardée qu’en nul autre milieu.

Au surplus, tous les enfants sont légitimes, et l’une des choses les plus touchantes qui soient dans le harem, c’est l’amour de toutes les femmes pour les enfants du maître, fussent-ils nés d’une négresse. Quant à la « miss » ou à la « mademoiselle », je la défie bien de séduire le maître ou les fils de la maison.

II

Cela dit, je vais commencer le très exact récit de ma vie et de mes aventures au harem. Si j’écris le français si maladroitement, il faut en attribuer la responsabilité à une « mademoiselle » qui flirtait avec les eunuques vieux ou jeunes. Elle les remplissait d’admiration en soulevant le bout de leur nez avec la pointe de son pied afin de les initier aux mystères du cancan.

Sous le règne magnifique du Sultan Abdul Aziz, vers l’année 1864, arrivait au village de Stémia, sur la côte d’Europe, une petite fille de quatre à cinq ans que traînait par la main une bohémienne sordide. La femme s’approchant d’un batelier qui amarrait son caïq lui proposa de garder l’enfant pendant qu’elle entrerait dans le village pour y acheter du pain.

— Tu devrais rendre cette enfant à ceux à qui tu l’as volée, misérable kiafir de tchingénée ! s’écria le caïqdjé. Je vais te mener chez le kadi, si tu ne me dis pas tout de suite où tu as pris cette fillette !

— Je fais le serment yéméni que j’ai trouvé sur la route cette fille d’anglais ! répondit la tchingénée sans s’émouvoir. Puis elle marcha vers le village abandonnant l’enfant.

— Machallah ! fit le caïqdjé en la regardant, les rayons du soleil sont dans tes cheveux et le velours de Damas dans tes yeux !

Et comme la bohémienne ne revenait point, Hussein, le batelier, poussa un nouveau « Machallah daim néler ! » et, prenant la petite fille par la main, il entra dans le village. L’enfant était habillée d’un intari de soie jaune et d’une fourrure de zibeline très usée ; sur sa tête, un fichu de gaze rose ornée de fleurs de soie ; à ses pieds nus des lalennes (petits sabots) à pompons roses.

— Mon âme me fait mal, dit-elle, au batelier Hussein.

Et celui-ci acheta aussitôt un gâteau que l’enfant mangea avidement.

— Tu es fille d’anglais, n’est-ce pas, mon agneau ? demanda-t-il.

L’enfant dit oui, puis non. Hussein, imbu du préjugé que tout être très blond, très rose, très blanc doit avoir du sang anglais dans les veines, pensa que c’était oui. Avec la délicatesse innée des islamites, il ne voulut pas conduire l’enfant dans un milieu musulman, et il frappa chez une chrétienne, nommée Cocona Ellenco.