Page:La Revue blanche, t14, 1897.djvu/60

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le sais ! J’en trouverai, et un jour il y en aura pour tous ! Oh ! que tu tardes, Révolution sociale ! De l’ouvrage, seulement d’ici jusqu’à toi, que je puisse te voir ! — Comme un brave son drapeau devant la gueule des fusils, il élevait bien haut l’espoir d’un monde futur, et il criait au froid, à la faim, à la toux qui secouait son petit, que cet espoir mourrait, mais ne se rendrait pas !

Révolution… révolution…

Pour tous, pour tous, un jour il y aura de l’ouvrage !

À la longue du sommeil embarbouille ses rêves. Le possible se fait vrai, le futur s’accomplit. On l’embauche. Il travaille. Il amasse quelque argent. Alors, il part… Amériques de fièvre et de rêve… Là-bas, bien loin,.. Tellement loin que d’ici cela semble du bonheur…

On y a de l’ouvrage ! Un jour, l’on est revenu… On est un riche. Un bon riche, qui se consacre à l’avenir de tous…

Et chez lui, c’est, revenue, la pendule qui dit l’heure, comme autrefois. La commode d’acajou, les livres, le lit confortable, et Jacques devenu grand…

Mais Jacques réveillé :

— Père ! Père !

— Qu’y a-t-il ? Qu’as-tu ?

— Là ! Regarde ! Père ! J’ai peur !

— Mais il, n’y a rien ? Dors !

— Je ne peux pas. J’ai peur.

— Peur de quoi ? Ne suis-je pas tout près de toi ? Il faut pas avoir peur.

Il pensait : il a peur parce qu’il a faim, et se taisait. L’enfant, de tout son cœur, tâchait de dormir ; et pour mieux y parvenir :

— Tu m’aimes, dis ?

— Mais oui. Jacques. Mais dors.

— Je tâche.

— Il faut dormir, mon Jacques, pour être bien portant, grand, fort. Car tu verras, il y aura de bons jours. On aura tout ce qu’il faut. Et de bonnes choses, et des joujoux ! Oh ! mais il faut bien dormir, pour ça, être très sage. Dors, Jacquot, n’aie pas peur. Dors. Je suis là. Je t’aime.

Est-ce qu’il dormait ? Enfin !

Mais jamais pour de bon. La toux à tout moment l’éveillait, le secouait. Puis, faible, il retombait à des repos si lourds qu’ils semblaient essayer la mort…

Alors, de nouveau, dans le silence noir, le souffle de l’enfant s’éteignant, la rage du père tarie, — au-dessus des fronts pâles les rêves battaient des ailes.

Dans l’ombre propice, quels anges venaient consoler les pauvres ? La Sainte Vierge elle-même, les mains pleines d’espoir, peut-être descendait ?

Ils voyaient, tous les trois, dans la nuit, une lueur…