Page:La Revue blanche, t16, 1898.djvu/409

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— Ne ferions-nous pas mieux de nous en aller ? Vous voyez qu’il n’y a pas ici de tasse de thé pour nous.

— Il n’y en a plus, en effet. Comme c’est contrariant ! Mais je pense qu’il vaut mieux que nous restions tranquilles : on est si ballotté dans une telle foule. Ma coiffure, dans quelle état est-elle, ma chère ? Quelqu’un m’a donné un coup qui l’aura bousculée, j’en ai peur.

— Non, vraiment, elle est très bien. Mais, chère madame Allen, êtes-vous sûre qu’il n’y ait personne que vous connaissiez, dans cette multitude de gens ? Je suis persuadée que vous devez connaître quelqu’un.

— Non, sur ma parole. Je souhaiterais connaître quelqu’un. De tout mon cœur je souhaiterais avoir beaucoup de connaissances ici, et alors je vous trouverais un partenaire. Je serais si heureuse que vous dansiez. Voyez ! voyez cette femme. Quelle toilette baroque ! une toilette si démodée ! Regardez-la par derrière.

Du temps passa, puis un de leurs voisins leur offrit du thé, ce qui fut accepté avec reconnaissance, et elles échangèrent quelques mots avec le courtois monsieur. De toute la soirée, ç’avait été le seul moment où quelqu’un leur eût adressé la parole, quand enfin, le bal fini, elles furent découvertes et rejointes par M. Allen.

— Eh bien, miss Morland ? dit-il aussitôt. J’espère que le bal vous a paru agréable.

— Très agréable, en effet, répondit-elle, essayant en vain de réprimer un bâillement.

— J’aurais voulu qu’elle pût danser, dit Mme Allen. J’aurais voulu que nous pussions trouver un danseur pour elle. J’ai dit combien j’aurais été heureuse si les Skinner eussent été là cet hiver plutôt que l’hiver dernier ; ou si les Parry étaient venus, comme ils en avaient parlé un jour. Elle aurait pu danser avec George Parry. Je suis si triste quelle n’ait pas eu de cavalier !

— Nous aurons plus de chance un autre soir, j’espère, dit M. Allen en manière de consolation.

La foule diminuait. Maintenant on pouvait circuler avec plus d’aisance. Et pour une héroïne qui n’avait pas encore joué un rôle très distinct dans les événements de la soirée, le moment était venu d’être en relief. De cinq en cinq minutes, grâce aux déplacements de la foule, s’accroissaient les chances de succès de Catherine. Maints jeunes gens la pouvaient regarder, qui, dans la foule, ne l’avaient vue. Aucun cependant ne tressaillit d’un étonnement enthousiaste. Nul murmure de questions empressées ne se propagea. Et personne ne l’appela une déité. Cependant Catherine était très « à son avantage ». Qui l’eût vue trois ans auparavant, l’aurait trouvée maintenant fort belle.

On la regarda cependant, et avec quelque admiration, car, à portée de son oreille, deux messieurs la déclarèrent une jolie fille. Ces mots eurent un effet magique. Immédiatement elle jugea la soirée plus gaie ; sa petite vanité était satisfaite ; elle se sentit plus reconnais-