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Les Marseillais contre les Suisses


On sait que, sur la fin du mois de juin 1792, la ville de Marseille, « chef-lieu de la Révolution » en Provence, dirigea cinq cents volontaires sur Paris pour soutenir la cause du peuple et que ces héros du midi, comme on les appelait alors, sont restés célèbres dans l’histoire à cause de la part prépondérante qu’ils prirent à la journée du 10 août.

En recherchant les origines de cette expédition on voit qu’elle fut précédée d’autres mouvements qui avaient aguerri les patriotes de Marseille.

Au 10 août ils se trouvèrent en conflit avec les suisses de Bachmann, mais dès le mois de février les bandes marseillaises s’étaient attaquées au régiment suisse d’Ernest (de Watteville) composé de neuf cents hommes et l’avaient désarmé.

Le fait s’était passé à Aix.

Barbaroux dit à propos de cette expédition que « la Révolution n’offre pas d’entreprise plus hardie ». On dirait mieux pas de plus incroyable. En effet si l’on ne tient compte de la faiblesse des autorités à cette époque, de la complicité des pouvoirs, de l’inconscience des chefs et des raisons sentimentales et philosophiques qui prévalaient alors, si même on ne reconnaît dans la marche des choses une sorte de fatalité, on aura peine à s’expliquer la prise d’une ville sans coup férir et le désarmement d’un régiment d’élite par des bandes indisciplinées.

Cette singulière victoire inspira beaucoup de confiance au peuple et beaucoup de terreur à la Cour.

Elle explique très naturellement par l’état des esprits qu’elle exalta, la facile formation du bataillon provençal qui, à quelque temps de là, se porta vers la capitale, remontant les rives du Rhône et de la Saône sous le soleil d’été en chantant son hymne farouche, les fronts ombragés par des branches de chêne.

Les armes qu’ils portaient étaient peut-être celles qu’ils avaient prises aux Suisses.

Vienne la chaude journée d’août qui les mettra une deuxième fois en présence des « habits rouges », ils n’auront plus peur et marcheront en tête de la colonne d’attaque.

La Cour, en apprenant l’échec du régiment suisse en garnison à Aix, avait si bien compris l’importance d’un tel mouvement que vingt-deux bataillons avaient été envoyés pour le réprimer ; mais déjà les Marseillais abandonnant leur première idée de marcher sur Arles, avec la soudaineté d’inspiration des bandes gauloises, étaient rentrés dans leurs foyers.