Page:La Revue blanche, t16, 1898.djvu/626

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— Mais vous employez votre temps d’une façon plus raisonnable, à la campagne.

— Croyez-vous ?

— Ne croyez-vous pas ?

— Je ne crois pas qu’il y ait grande différence.

— Ici vous êtes en quête d’amusements tout le long du jour.

— Et de même à la campagne ; mais j’en trouve moins. Je me promène ici, et ainsi fais-je là-bas ; ici, du moins je vois des gens plein les rues, et là-bas je ne peux rien voir que Mme  Allen.

M. Tilney s’amusait fort.

— Ne rien voir que Mme  Allen ! répétait-il. Quel tableau de détresse intellectuelle ! Mais, quand vous retomberez dans cet abîme, vous aurez un thème. Vous pourrez parler de Bath et de tout ce que vous y aurez fait.

— Oh ! oui ; je ne serai plus jamais embarrassée pour parler à Mme  Allen ou à n’importe qui. Je crois vraiment que je parlerai toujours de Bath, quand je serai de retour à la maison ; j’aime tant Bath ! Si seulement j’avais ici papa et maman et le reste de ma famille, je serais trop heureuse. L’arrivée de James, mon frère aîné, m’a été très agréable ; et, justement, il avait pour amis intimes les membres de cette famille avec laquelle nous nous sommes liés ! Oh ! comment peut-on se fatiguer de Bath ?

— Pas ceux qui y apportent de si frais sentiments. Mais papas et mamans et frères et amis intimes tout cela est bien suranné pour la plupart des habitués de Bath, et s’intéresser au bal, au théâtre et au spectacle de la vie quotidienne ne l’est pas moins.

Là finit leur conversation, de par les exigences de la danse.

Bientôt après qu’ils eurent atteint le bout de la salle, Catherine se sentit regardée attentivement par un gentleman qui se tenait, parmi les spectateurs, immédiatement derrière M. Tilney. C’était un homme de belle allure et de masque énergique, dont la jeunesse était passée, mais non pas la vitalité. Elle le vit bientôt qui, la regardant toujours, disait familièrement à voix basse quelques mots à M. Tilney. Confuse d’appeler l’attention et rougissante, elle détourna la tête. Le gentleman parti, M. Tilney, se rapprochant d’elle :

— Je vois que vous êtes inquiète de ce qui vient de m’être demandé. Ce gentleman connaît maintenant votre nom, vous avez le droit de connaître le sien. C’est le général Tilney, mon père.

La réponse de Catherine fut simplement : « Oh ! » mais ce fut un « Oh ! » expressif. Elle suivit des yeux le général qui circulait à travers la foule. « Quelle belle famille ! » pensa-t-elle.

En causant avec Mlle  Tilney un instant après, elle sentit naître en elle une nouvelle source de félicité. Elle n’avait jamais fait d’excursion à la campagne depuis son arrivée à Bath. Mlle  Tilney, à qui tous les environs étaient familiers, en parlait de temps en temps, ce qui rendait Catherine plus impatiente encore de les connaître. Sur sa