Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/537

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Catherine soupira.

— Je suis aise, continua la mère philosophe, de n’avoir pas su ce voyage. Mais le voilà fait, et peut-être n’y a-t-il pas à le regretter. Il est toujours bon que les jeunes gens aient l’occasion de montrer de l’initiative. Vous le savez, ma chère Catherine, vous étiez une pauvre créature fort étourdie ; mais il vous a bien fallu ne pas perdre la tête, dans ces nombreux changements de voiture, et autres ennuis. J’espère que nous constaterons que vous n’avez rien oublié dans les poches d’aucune voiture.

Catherine l’espéra aussi et essaya de prendre quelque intérêt à son perfectionnement intime. Mais vraiment elle n’avait plus de ressort, et, comme bientôt elle n’éprouva d’autre désir que de silence et de solitude, elle se soumit au premier conseil que sa mère lui donna d’aller se coucher de bonne heure. Ses parents, qui voyaient dans sa pâleur la conséquence naturelle de la mortification qu’elle avait subie et des fatigues du voyage, la quittèrent sans mettre en doute qu’elle s’endormît aussitôt, et, le lendemain matin, quoique sa mine ne répondît pas à leurs espérances, ils continuèrent à ne pas soupçonner un mal plus profond.

Aussitôt après le déjeuner, elle voulut tenir la promesse faite à Mlle Tilney. Ainsi se justifiait la confiance d’Éléonore : le temps, la distance agissaient déjà. Catherine se reprochait d’avoir quitté son amie froidement, de n’avoir jamais su apprécier assez ses mérites et sa bonté, et, toute à sa propre peine, d’avoir été trop indifférente à celle d’Éléonore. La vivacité de ces sentiments fut loin de lui être une aide. Jamais il ne lui avait été plus difficile d’écrire. Composer une lettre qui les conciliât, ces sentiments, avec sa situation, qui exprimât sa gratitude sans regret servile, qui fût réservée sans froideur et sincère sans ressentiment, une lettre dont la lecture ne fît pas de peine à Éléonore, une lettre surtout dont Catherine n’eût pas à rougir si Henry la lisait, le pourrait-elle ? Longtemps elle fut perplexe. Elle reconnut enfin qu’en une lettre brève était son salut. En conséquence, l’argent prêté par Éléonore fut inséré dans un billet où se formulaient, sans plus, quelques remercîments pleins de gratitude et les mille bons souhaits d’un cœur affectueux.

— Singulière amitié, vite conclue, vite rompue, observa Mme Morland, quand Catherine eut fini d’écrire. Je regrette cette fin, car M. Allen disait les jeunes gens fort gentils. Et vous n’avez pas eu plus de chance avec votre Isabelle. Pauvre James !… Il faut vivre et apprendre. J’espère que la prochaine fois vous aurez des amis plus dignes d’être aimés.

Catherine, rougissante, répondit avec force :

— Nulle amie plus qu’Éléonore ne peut être digne d’être aimée.

— S’il en est ainsi, ma chère, j’ose dire que vous vous retrouverez un jour ou l’autre ; ne soyez pas inquiète. Il y a dix à parier contre un que vous vous rencontrerez d’ici à quelques années. Et alors, quelle joie ce sera !