Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/546

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pèrent. Ils avaient eu la gentillesse de ne rien dire à ce sujet, et lorsque Catherine recevait une lettre, comme il arriva assez souvent, ils regardaient d’un autre côté.

Cette inquiétude, lot maintenant de Catherine et de Henry, ne se communique pas, je le crains, à mes lecteurs qui, à la concision éloquente des pages qu’ils ont sous les yeux, voient bien que nous nous hâtons tous vers la félicité parfaite. Les voies par lesquelles nous nous y hâtons restent seules douteuses. Quelles circonstances pourront agir sur la nature rébarbative du général ? La plus efficace fut le mariage d’Éléonore avec un homme opulent et considérable : accroissement de dignité qui provoqua chez le général une crise de bonne humeur dont il ne guérit pas avant que sa fille eût obtenu qu’il pardonnât à Henry et lui permît d’être fol à sa guise.

Le mariage d’Éléonore Tilney avec l’homme qu’elle avait élu, son départ, loin des misères d’un Northanger où n’était plus Henry, pour le foyer de son choix, un tel événement est pour satisfaire tous ceux qui connaissent cette jeune femme. Ma joie à moi est très sincère. Je ne sache personne qui ait plus de droits, par ses mérites sans prétention, et qui soit mieux préparée, par ses tristesses quotidiennes, à jouir du bonheur. Leur direction n’était pas récente, et le gentleman qu’elle épousait avait été longtemps empêché de présenter sa requête par l’infériorité de sa condition ; mais son accès inespéré à un titre et à la fortune venait d’écarter tous obstacles. Jamais le général, aux jours où il avait pour seule compagne Éléonore, aux jours où il mettait à l’épreuve, sans la lasser jamais, sa patience, n’avait aimé autant sa fille que lorsque, pour la première fois, il la salua du titre de vicomtesse. Son mari était réellement digne d’elle. Outre qu’il était pair, riche et qu’il l’aimait, c’était encore le plus charmant jeune homme de la terre. Toute définition supplémentaire de ses mérites est, dès lors, inutile. On se représente instantanément le plus charmant jeune homme de la terre. Il me suffira d’ajouter (les règles de la composition m’interdisant d’introduire ici un personnage qui ne soit pas lié à ma fable) que c’était le même gentleman dont les notes de blanchissage, au cours d’un long séjour à Northanger, avaient été oubliées par un domestique négligent, ces notes qui avaient figuré dans une des plus affreuses aventures de mon héroïne.

L’influence du vicomte et de la vicomtesse, mise au service de leur frère, eut pour adjuvant les si raisonnables conditions de M. Morland, par eux soumises au général dès que celui-ci consentit à écouter. Il apprit ainsi qu’il avait à peine été plus trompé par la première exagération de Thorpe à propos de la fortune des Morland, que par la malveillante façon dont ce même Thorpe avait ensuite anéanti cette fortune. Les Morland n’étaient nullement besogneux : Catherine aurait trois mille livres. C’était là un appoint matériel si inattendu qu’il contribua fort à aplanir l’orgueil de l’homme de Northanger, et les renseignements qu’il se procura secrètement au sujet des terres de Fullerton lui apprirent que