Page:La Revue blanche, t17, 1898.djvu/70

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tout contrôle ; sans hésitation, elle se déclara la plus heureuse des mortelles.

Mme Thorpe, avec des larmes d’allégresse, accola sa fille, son fils, la visiteuse, et elle aurait accolé de bon cœur la moitié des habitants de Bath. Son âme débordait de tendresse. C’était « cher John », « chère Catherine », à chaque mot. « Chère Anne » et « chère Maria » durent incontinent participer aux réjouissances, et deux « chère » placés à la fois devant le nom d’Isabelle avaient été bien gagnés par cette fille sans seconde. John, lui-même, manifestait son contentement. Il déclara le père Morland un excellent gaillard et vociféra ses louanges.

La lettre qui dispensait tant de félicité était courte. Elle ne contenait guère plus que la nouvelle du succès et ajournait tous détails. Les détails, Isabelle était de force à les attendre : M. Morland avait dit l’essentiel et s’était engagé d’honneur à aplanir les difficultés. Comment seraient constitués les revenus du jeune ménage — par transfert de propriétés territoriales ou de rentes sur l’État, — c’étaient vétilles dont la magnifique Isabelle ne s’occupait : elle pouvait compter, et à brève échéance, sur un établissement honorable. Donnant essor à ses rêves, elle se voyait déjà provoquer l’émerveillement de ses nouvelles connaissances de Fullerton et l’envie de ses anciennes amies de Pulteney Street ; elle aurait une voiture à ses ordres, un autre nom sur ses cartes, et à ses doigts des bagues en fulgurant éventaire.

John Thorpe, qui avait retardé son départ pour Londres jusqu’à l’arrivée de la lettre, pouvait maintenant se mettre en route.

— Voilà : je viens vous dire au revoir, dit-il à Mlle Morland, qu’il trouva seule au salon.

Catherine lui souhaita un bon voyage. Sans paraître l’entendre, il alla vers la fenêtre, revint sur ses pas, fredonna un air ; il semblait très préoccupé.

— N’arriverez-vous pas bien tard à Devizes ? dit Catherine.

Il ne répondit pas, puis, après un moment de silence, son verbe fit irruption :

— Une bien bonne chose que ce projet de mariage, sur mon âme ! Une heureuse idée que celle de Morland et de Belle ! Qu’en pensez-vous, miss Morland ? À mon sens, l’idée n’est pas mauvaise.

— C’est même une très heureuse idée.

— Oui ! Par le ciel ! voilà qui est franc. Je suis ravi que vous ne soyez pas ennemie du mariage. Connaissez-vous la vieille chanson : « Aller à la noce, c’est s’acheminer à une autre noce. » Viendrez-vous à celle d’Isabelle ?

— Oui, j’ai promis à votre sœur d’assister à son mariage, si ce m’est possible.

— Et alors, vous savez — et il se tortillait hilare — je dis, alors, Vous savez, nous pourrons contrôler la vieille chanson.

— La vieille chanson ? Mais je ne chante pas… Eh bien, je vous