Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/367

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De même le capitaine Beauvais :

Le capitaine Beauvais, au témoin. — Vous venez de dire que vous pensiez que le Manuel avait été envoyé par l’auteur du bordereau à son destinataire, puisque vous avez compris : « Je le reprendrai. »

Le commandant Hartmann. — Oui, mais sur cette question on ne peut faire que des hypothèses, et j’ai considéré toujours ce point comme assez peu important. C’est pourquoi je n’en ai pas parlé dans ma déposition. Il faut remarquer que, dans le bordereau, le « à moins que » de la dernière phrase comporte une alternative qui peut porter soit sur l’envoi du Manuel, soit sur le fait d’y prendre des renseignements. Il y a deux interprétations possibles.

Ou bien : « Je vous envoie le projet de Manuel ; vous y prendrez des renseignements, à moins que vous ne vouliez que je le fasse copier », ou bien : « Je vous envoie le projet de Manuel, à moins que vous ne préfériez que je le garde pour vous le faire copier. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La divergence d’opinions provient de ce que le commandant Hartmann s’appuyait sur le texte du bordereau — tandis que les juges se fiaient au texte du bordereau — approprié par Mercier et dont voici la dernière phrase :

« Si vous voulez y prendre ce qui vous intéresse et vous tenir à ma disposition après, je le prendrai à moins que vous ne vouliez que je le fasse copier… »

Évidemment, suivant qu’on lit « vous tenir à ma disposition » ou « le tenir » — le bordereau — les hypothèses sur je le prendrai peuvent plus facilement varier.

Naturellement, c’est la version créée par le texte — faux — du général Mercier, que le lieutenant-colonel Brongniart, le capitaine Beauvais, le Conseil de guerre adoptaient…

Eh bien ! ce n’est pas la déposition sténographiée, ce n’est pas même la brochure tripatouillée, qui a été déposée chez les juges.

Il paraît que ce n’était pas encore ça. Ce n’est pas la déposition initiale, ce n’est pas la brochure revue, c’est un exemplaire recorrigé, et augmenté, de la main même du général Mercier, qui a poursuivi, jusque chez eux, les membres du Conseil de guerre.

Ce fut donc une déposition inconnue de l’accusé et de ses avocats qui devint le vade-mecum des juges durant le procès.

Jean Ajalbert