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1857 trois d’entre eux, sommés de rejoindre un régiment le rejoignirent en effet, mais refusèrent le serment ; on les mit aux arrêts forcés pendant quelques semaines ; ce régime n’ayant eu nulle influence, ils furent fouettés et bâtonnés : deux moururent sous les coups ; comme l’autre vivait encore, on le fusilla : tous trois étaient restés fermes dans leur foi.

Actuellement, l’autorité militaire montre, par politique, plus d’indulgence pour les nazaréens. La plupart d’entre eux forment la recrue des infirmiers. Les autres refusent obstinément de manier les armes. On s’ingénie à trouver des moyens de les vaincre. Eux se laissent lier le fusil sur le dos, se laissent garnir la giberne, et, en ce bel équipage, marchent au pas de course. Ils se laissent « suspendre »[1], emprisonner, ferrer[2], affamer, fustiger, mais, sauf rares exceptions, ils résistent inlassablement. D’autres sont internés à l’asile d’aliénés de Trnave : d’autres passent devant des conseils de guerre qui les condamnent à de longues années de prison.

Non seulement il est rare que les détenus nazaréens renoncent à leur foi, mais très souvent ils entraînent à leur doctrine tels de leurs codétenus ; et ceux-ci, leur peine expirée, ne veulent plus servir et sont réincarcérés, cette fois comme nazaréens. Il arrive aussi que des jeunes gens embrassent la foi nazaréenne alors qu’ils ont déjà achevé leurs trois années de service ; rappelés au régiment comme soldats de réserve ils refuseront de reprendre les armes.

Dans un journal hongrois du mois de septembre 1895, on lisait :

« Dans l’armée active, les chefs militaires savent comment agir avec les conscrits nazaréens ; mais, lors des manœuvres d’automne, parmi les réservistes, se trouvent un grand nombre d’hommes qui ne veulent pas même regarder une arme. Les sous-officiers savent déjà que, sur eux, prières, menaces ni injures n’ont d’influence : c’est pourquoi ils se contentent de signaler ces hommes dans les rapports adressés aux chefs, qui, eux non plus, ne savent qu’en faire. Les officiers leur disent qu’ils ne reverront jamais famille, femme, enfants s’ils ne cèdent pas, car alors, et sans répit, la punition suivra la punition, et leur remémorent les exemples de nazaréens condamnés pour un semblable refus à dix ans de prison et davantage : toute cette éloquence reste vaine. On arrête donc ces nazaréens et on les envoie d’une prison à une autre prison. Les cas deviennent de plus en plus fréquents, et les rapports que reçoit à ce sujet l’autorité supérieure commencent à l’inquiéter. »

Depuis quelque temps, on trouve à chaque instant, dans les faits divers des journaux de Pest la mention de cas de ce genre ; mais les journaux ne les connaissent pas tous, et ne signalent pas tous ceux qu’ils connaissent : seul le ministère de la guerre sait leur nombre exact : mais c’est une statistique qu’il ne publiera jamais.

  1. Sévice en usage dans l’armée autrichienne : pénalité légale et aussi punition disciplinaire : on lie les mains du condamné derrière son dos et on le suspend par les poignets, de sorte qu’il ne touche le sol que des orteils ; durée : deux heures.
  2. La main droite liée au pied gauche ; la gauche au droit.