Page:La Revue blanche, t21, 1900.djvu/62

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peu cependant, avec plus de désinvolture dans le geste, plus d’autorité dans le regard. Elle avait avancé dans la vie ; elle avait connu davantage le pouvoir de la beauté, le prestige de l’argent. L’éclat de la jeunesse, la certitude de sa force débordaient d’elle comme le vin d’une coupe trop pleine. Mais qu’avait Gilbert à l’analyser ainsi ? Que faisait-il des prescriptions et des défenses promulguées au séminaire : « Ne jamais regarder une femme en face. »

Le lévite baissait les yeux. Mais Claire lui tendait la main. Pouvait-il faire autrement que de la prendre ? Ses doigts tremblaient dans la légère étreinte. Il balbutiait. Il devait avoir l’air ridicule. Et ces jeunes gens qui le dévisageaient, qu’allaient-ils penser de lui ?

La poignée de main d’Adrien de Favaron lui rendit un peu de sang-froid. Mais le tutoiement de Bernard le troubla de nouveau. Ne devait-il pas faire respecter son habit ? Madame Albanie lui vint en aide en reprenant Bernard. Et Gilbert s’en voulait de s’arrêter à ces vétilles. Mais il en voulait aussi à la vie mondaine de les lui imposer. Il comparait les événements, les émotions de la journée aux émotions, aux événements de la veille ; il constatait la déchéance.

Claire souriait :

— Nous vous tenons enfin, Monsieur Gilbert… pardon, Monsieur l’abbé, se reprenait-elle. Eh bien, puisque vous voilà revenu, nous allons, tout de suite, mettre votre bonne volonté à l’épreuve. J’en ai assez du tennis à trois. Vous allez faire le quatrième. Je vous prends dans mon camp.

Gilbert se récusait. Il avait sûrement oublié depuis les vacances dernières. Et il se tournait vers l’abbé Resongle, comme pour l’appeler au secours de ses scrupules.

Mais Claire suivait son manège.

— Monsieur le Curé vous donne la permission, affirma-t-elle. Pas vrai, Monsieur le Curé ?

M. le Curé tournait béatement les pouces sur son ventre en écoutant d’une oreille distraite les détails que lui servait M. de Favaron sur la dernière vente de charité qu’on avait organisée à Villefranche. Il acquiesça d’un signe à la requête de mademoiselle Mériel :

— Le jeu de boules est autorisé, je crois, les jours de prome-