Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/341

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pelouses de liquide acanthe restent plus impénétrables qu’un masque qui saurait fermer les yeux ; ou plus simplement on dirait que la femme là-bas, de qui la tête est grande comme la Ville, que Rome s’obstine à détourner la tête.

Et l’impératrice se détourne à son tour de la fenêtre, et la grande Ville est revenue d’étrécir et s’aplatir dans le cadre de serpents du miroir rond, comme une médaille.

Mais, pour la seconde fois, à peine les yeux de Messaline eurent-ils rencontré le miroir, elle fondit encore en sanglots.

Avec la même netteté maladive qu’elle y avait lu d’abord la demeure de sa chimère envolée, elle y déchiffrait, en toutes lettres, pourquoi le dieu était parti.

Or c’était une vieille croyance religieuse latine, que Rome dût avoir plusieurs noms.

Le nom profane, Roma, qui en grec signifie force, de même que le Tibre, en langue étrusque, était dit Rumon et que reverdissait chaque année le figuier ruminal, exprimait à peu près à quel dieu était vouée la Ville.

Messaline, enfant, avait appris des vestales le vocatif sacerdotal : Flora.

Mais il existait un nom secret et terrible, qu’il était interdit de prononcer sous peine de mort (on leurrait le peuple du soupçon que ce pouvait être Valentia ou Angeroma), qui était le nom même du dieu de la Ville.

Et les prêtres enseignaient que le jour où le nom serait proféré serait le jour du départ de la divinité tutélaire, qui s’en irait chercher ailleurs, selon la formule consacrée, plus ample culte.

C’est pourquoi, et bien que personne ne sût le nom, l’usage s’était établi, de peur d’un malheureux hasard, de dire :

La Ville.

Et le mot profane Roma voilait, comme un masque, les frontons des monuments où une inscription avait besoin de nommer la Ville.

Or Messaline, en exergue à cette médaille de la Ville dans le miroir d’or, venait de lire (mais sa crise fut si soudaine que ses lèvres n’épelèrent pas) le nom sacré, à peine soupçonné, jamais prononcé, comme nom de la Ville, du dieu de la Ville, du dieu parti : le dernier mot de la dédicace, au-dessus du