Page:La Revue blanche, t22, 1900.djvu/51

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une évidente clarté. Je ne recherche pas le malin plaisir d’attaquer M. de Wyzewa qui ne m’inspira jusqu’ici aucune animosité personnelle. Je tairais même son nom avec joie si toute la France ne savait qu’il est le traducteur de Résurrection. Je défends le public français contre l’arbitraire des hommes chargés de le renseigner sur la pensée étrangère.

Je dirai tout d’abord combien je fus surpris de constater chez M. de Wyzewa d’étranges ignorances. Il semble n’être pas instruit des expressions les plus courantes de la langue russe. Il traduit constamment par frère le mot qui signifie en réalité cousin-germain et cette erreur le jette en de plaisantes incertitudes. Quand il découvre dans le texte que le jeune homme dont il a fait le frère de Missy est le neveu du prince Kortchaguine, il perd toute contenance et, pour sortir d’embarras ne mentionne aucun lien de parenté entre les deux hommes. Des expressions d’un usage aussi fréquent que une dot, un escalier de service, aller en voiture, lui sont inconnues et, ce qui est plus grave, il ne paraît pas s’apercevoir que l’interprétation qu’il en donne est contredite par le contexte. Il confond lunettes et fenêtre, de sorte que la prisonnière qui « coud en lunettes » dans Tolstoï « coud près de la fenêtre » dans Wyzewa. Un vol commis « dans un lieu d’habitation » est pour le traducteur de l’Écho de Paris « un vol avec préméditation ». Souvent ces substitutions de sens, au lieu d’être simplement divertissantes, contribuent à déformer l’idée que nous nous formons d’un personnage. L’avocat Fanarine (et non Faïnitzin), qui conseille à Nekhloudov de faire « travailler dans les coulisses » lorsqu’il aura remis le recours en grâce de Maslova, a l’air, tout en se récusant pour de telles besognes, d’assurer sournoisement le prince de ses services en toutes circonstances. Du moins, en aucune façon, il ne se déclare « tout prêt, comme dit M. de Wyzewa, aussi bien pour manœuvrer dans la coulisse que pour rédiger la requête ». Ailleurs Maslova se plaint à Nekhloudov du petit avocat qui d’office avait été chargé de la défendre. Elle a remarqué qu’il était plus occupé de lui faire la cour que de préparer sa plaidoirie. « Il me faisait sans cesse des compliments », dit-elle. À cette place, dans la traduction de M. de Wyzewa, elle déclare à Nekhloudov : « Tout le monde me fait des compliments à votre sujet. » — Dans les dialogues, des répliques entières, des parties de réplique sont faussées ; dès lors, il nous devient difficile de suivre la progression des idées et de saisir nettement le caractère prêté par Tolstoï à chacun de ses personnages. Nekhloudov répond à sa vieille gouvernante qui fait allusion à son mariage possible avec la princesse Kortchaguine : « Vous vous trompez. » — « Ce n’est pas cela que vous pensez », dit-il dans la traduction de M. de Wyzewa, qui, s’enfonçant dans son erreur, imagine de prêter à ce moment à Nekhloudov un sourire tout à fait déplacé. « Comme vous voudrez », dit au prince un de ses paysans. « Je reconnais là votre bon cœur » lui fait dire le traducteur. Dans une dernière entrevue avec son protecteur, Katioucha s’écrie : « Moi, la femme de