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contraire à la conduite que doit tenir un jeune Chinois bien né. Le rotin de bambou était suspendu au-dessus de ma tête comme l’épée de Damoclès. Ma mère, qui vit encore, me sauva maintes fois de ses coups, en me donnant un avertissement opportun ou en cachant mes méfaits à la connaissance de mon père. Mais elle n’était pas indulgente au point de m’épargner un châtiment que j’eusse absolument mérité.

Notre famille se composait de mon père et de ma mère, d’un frère de quatre ans plus âgé que moi, d’une sœur de deux ans plus jeune, de moi enfin. J’eus deux sœurs qui moururent avant ma naissance, par le cours de la nature ; laissez-moi l’ajouter, car l’horrible coutume de l’infanticide des filles n’était, en ce qui concerne notre région dans l’Empire, connue que par les livres et fort réprouvée[1].

J’ai dit précédemment que nous occupions un côté de la maison de mon aïeul. Le bâtiment n’avait qu’une entrée. Le plan ci-joint en offre la description.

A, comprend tout l’espace, au-dessus duquel une ouverture laisse voir le ciel et qui correspond au compluvium des habitations romaines. Il y avait cinq de ces ouvertures dans notre maison. Par là, venaient l’air, le vent, la pluie. Vous pouvez facilement imaginer que ce sont là, dans les maisons chinoises, de faciles entrées et sorties pour les brigands et les voleurs. La nuit, il semble qu’il n’y ait de protection contre les gens de cette espèce que dans la vigilance et le courage des veilleurs qui, frappant les heures de la nuit sur une pièce de bambou et faisant la ronde, avertissent les malfaiteurs d’avoir à s’esquiver, s’ils sont trop près. Le veilleur chinois remplit le double emploi de gardien et d’horloge ambulants. Et, quoique les horloges soient d’un usage commun, mes compatriotes n’ont pas encore adopté, pour connaître l’heure, l’usage des sonneries.

Si vous examinez le plan, vous verrez que la maison n’a qu’une seule entrée régulière. Ayant passé le seuil, vous êtes dans le vestibule, qui ouvre sur le compluvium par trois portes à deux battants ; toutes servent dans les grandes occasions ; mais, en temps ordinaire, on n’ouvre qu’une des portes de côté. Après avoir franchi le vestibule et être descendu par une marche dans le compluvium, vous avez la pleine vue de la salle d’audience, qui est décorée et qui sert dans les circonstances solennelles, comme les jours du nouvel an, les mariages, les funérailles, ou pour d’autres éventualités, comme la réception de personnages distingués. De chaque côté, il y a une aile, la

  1. Les infanticides de filles ont été constatés dans les provinces de Canton, Fo Kien, Tché-Kiang, Chang-Si, par un édit des deux reines-mères régentes, publié par la Gazette de Péking, les 13e et 14e jour de la Deuxième Lune (29 et 30 mars 1866). Cet édit invitait les préfets et sous-préfets des villes à organiser des orphelinats destinés à recueillir les enfants abandonnés. « De la sorte, disaient les régentes, les pauvres ne pourront plus objecter leur pauvreté, pour se justifier du crime abominable de tuer les enfants qu’ils ont engendrés. »