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violence, pourquoi la destruction de cette organisation, qui du reste aujourd’hui ne sert plus à rien, aurait-elle pour effet de réveiller la violence des hommes et de leur rendre le goût du meurtre ? Il me semble au contraire qu’après la disparition de cet instrument de violence le nombre des criminels ne pourra que diminuer.

Notre société compte aujourd’hui des hommes spécialement élevés et préparés pour tuer leurs semblables ou leur faire violence ; on leur reconnaît au crime un droit spécial, toute une organisation les protège ; on tient les violences et les meurtres qu’ils commettent pour des actes bons et vertueux. Mais alors on ne verra plus de ces hommes nourris pour le mal, on ne reconnaîtra plus à personne le droit de faire violence à qui que ce soit, on ne se soumettra plus à une organisation qui n’a d’autre principe que la force brutale, et, ce qui est le propre de notre temps, la violence et l’assassinat seront considérés toujours et par tous comme des actions mauvaises.

Si même, après la suppression des gouvernements, des violences se produisent, il est certain qu’elles seront moins fréquentes qu’à l’heure actuelle où une organisation, un métier existent pour encourager, ainsi que des actions bonnes et utiles, la violence et l’assassinat.

Avec ces gouvernements disparaîtront cette organisation et cette glorification de la violence.

« Mais sans gouvernement, il n’y aura plus ni lois, ni propriété, ni tribunaux, ni police, ni instruction publique », dit-on souvent en feignant de croire les violences du pouvoir nécessaires aux diverses branches de l’activité sociale.

La destruction d’un gouvernement institué en vue de violences à exercer sur les hommes n’entraînera aucunement la destruction des éléments bons et raisonnables que peuvent contenir la législation, l’organisation des tribunaux, de la propriété, de la police, les institutions financières et les établissements d’instruction.

Au contraire la disparition de la brutalité des gouvernements amènera d’elle-même une organisation sociale plus raisonnable et plus juste et qui n’usera plus de violence. Les tribunaux, les œuvres sociales et l’instruction publique, tout cela existera, mais dans la mesure où le peuple en pourra tirer profit et sous une forme qui ne laissera rien substituer du mal que l’enferment les institutions actuelles. Nous aurons seulement perdu ce qui dans l’état de nos sociétés est mauvais et gêne la libre manifestation de la volonté des peuples.

Mais en admettant même qu’après la disparition des gouvernements, les peuples aient à souffrir des secousses et des troubles intérieurs, leur situation sera toujours préférable à ce qu’elle est aujourd’hui. Les peuples sont à l’heure qu’il est dans une situation telle qu’on n’en peut guère supposer de pire. Les nations sont ruinées, et cette ruine inévitablement ira toujours s’aggravant. Tous les hommes sont transformés en soldats, en esclaves à qui l’ordre peut venir à chaque minute de tuer ou de se faire tuer. Que peut-il arriver de pire ? Que les peuples meurent de faim ? C’est ce qu’on voit déjà en