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Quint, moins hindou que Baber, moins chinois que Khanghi. L’histoire politique des peuples date presque de nos jours.

L’art, de son côté, crée plus d’énigmes qu’il n’en résout. Rien ne défend les œuvres d’art contre les interprétations délirantes de gens qui, sans le vouloir, y retrouvent leur âme propre, au lieu de celle qu’ils se flattent d’analyser. Pour les peuples civilisés, la psychologie fondée sur l’art donnerait les mêmes résultats, troubles et contradictoires, que la psychologie fondée sur la religion : prenez Puvis, Bouguereau, Rodin, Gérôme ensemble, et faites avec cela la psychologie du Français ! L’art appliqué, issu de besoins religieux ou de besoins domestiques, n’offre par suite qu’une manifestation de ces besoins, une série de matériaux auxiliaires pour la psychologie religieuse et la sociographie.

Restent la langue et l’organisation sociale. Et ce sont bien là, en effet, les véritables clefs de l’ethnopsychologie.

Nous ne parlons pas, bien entendu, de cette psychologie des peuples qui encombre de ses clichés les Encyclopédies à l’usage des grands et des petits enfants. Ce genre de littérature procède simplement par généralisation de quelques cas spéciaux, ou — pis encore ! — de la moyenne de quelques cas spéciaux. Ainsi se dresse le type du « Français », du « Turc », du « Chinois » : « Le Mongol » (par exemple) est pacifique et hospitalier : il a les jambes courbes à cause de sa vie à cheval ; il est paresseux, et souffre de conjonctivite, parce que ses tentes n’ont pas de cheminée ; il est en outre (!) taciturne, extrêmement sale et pauvre, très religieux quoique (!) bouddhiste ; il a la vengeance longue et le tempérament gai et ouvert… »

Ces portraits frappés en médailles ont le défaut d’être si riches qu’on ne voit plus s’il est question d’un ou de deux ou de plusieurs individus : en tout cas rien ne permet d’admettre qu’ils s’appliquent à tout un peuple.

Entre deux individus de race différente, de civilisation différente, insignifiantes sont les différences psychologiques qu’on peut vraiment attribuer à cette différence de race et de civilisation. Dans une même race, dans une même civilisation, on peut toujours trouver un individu qui diffère de la moyenne autant et plus qu’en diffère un membre d’une autre race. Ce n’est pas là ce qui importe : car l’âme d’un peuple n’est pas la moyenne des âmes individuelles, mais, si j’ose m’exprimer ainsi, la racine carrée de leur produit.

En effet, dans un ensemble d’individus qui vivent sous des conditions sensiblement identiques de climat, de langue, de société, il existe, en dehors du domaine individuel, quelque chose comme un lien immatériel qui n’a rien à voir ni avec la parenté anthropologique, ni avec aucune convention consciente, et qui pourtant constitue le caractère psychique du peuple : c’est le milieu, pour lui donner un nom. Or, ce milieu, quoiqu’il dérive à coup sûr d’une coopération psychique inconsciente, est loin d’en être le produit direct ; c’est pourquoi, du milieu, l’on ne saurait déduire, fût-ce une seule « psyché » individuelle. À cette âme il man-