Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/14

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christianisme, incompréhensible à son esprit, puisque intraduisible en sa langue, et contraire à sa vie, puisque non conforme à ses besoins d’organisation sociale.

Rien de plus absurde que de vouloir convertir à une foi une nation où le raisonnement a dès longtemps établi les préceptes qu’on prétend dériver de cette même foi. En l’espèce, il est éhonté d’enseigner la foi chrétienne aux Chinois, sous prétexte d’en faire découler une morale civilisatrice dont les principes étaient, en Chine, établis logiquement, un demi millénium avant que le christianisme fût né. Les principes éthiques du peuple chinois ne diffèrent en rien des principes de la morale chrétienne, — au point que de savants jésuites ont pu entreprendre (ad majorem Dei gloriam) de prouver par des faits et des citations que le Décalogue existe chez les Chinois. Si l’on se refuse en Europe à reconnaître cette identité des principes éthiques, c’est par oubli de l’immuable vérité, vraie pour la Chine comme pour l’Europe, que de tels principes sont là pour ne pas se manifester dans la vie pratique. Comme ceux qui ont la foi ne voient que ce qui en découle, ils tombent facilement dans l’épouvantable erreur de croire, d’abord, que ces principes doivent être conscients ; ensuite, qu’ils ne peuvent s’établir sans la foi ; et enfin, qu’ils sont essentiels au bonheur de l’homme.

Or, il s’est produit en Chine des faits burlesques, de nature à confirmer singulièrement cette opinion que la foi serait une preuve — disons mieux : une excuse, une justification après coup, pour des règles morales qui existaient avant la foi, soit comme produits de nécessités hygiéniques, soit comme corrélatifs du développement économique. La propagande chrétienne n’a trouvé de succès en Chine, que là où la manifestation grossière, palpable, de l’amour du prochain, a pu ménager les voies à l’enseignement du dogme. Ce fut une question d’argent ; les conversions ne se firent nombreuses et stables que dans les cas où l’appui économique fourni par les chrétiens pouvait raisonnablement faire admettre l’efficacité de la foi chrétienne. Ce ne fut pas précisément l’achat des âmes, mais le contre-coup psychologique de cette idée chrétienne que la foi produit la morale. Mais tous ceux qui raisonnent froidement, et la plupart de ceux qui se livrent docilement à l’impression des choses, verront là la preuve absolue que ce n’est pas la foi qui est contagieuse, mais l’intérêt économique. Sans doute, par cette action en retour, il s’est formé en Chine un certain nombre de chrétiens, qui, pensant que l’action découlait de la Foi, ont embrassé celle-ci, pour l’amour de celle-là ; mais bien souvent aussi, quand l’action palpable ne se manifestait plus, La Foi tombait en disgrâce. Le christianisme n’a guère existé en Chine que comme caisse de secours. Il n’a jamais profité aux âmes, mais il a soulagé quelques-uns de ceux qui souffraient du système social environnant.

Il a pu se produire ainsi des cas, monstrueux au point de vue de la foi chrétienne, mais propres à édifier sur les résultats de la propagande. En voici un que je tiens d’un missionnaire connu, qui s’est, au dernier