Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/88

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mon but aujourd’hui est la simplicité même… Je suis en quête d’un cadeau de Noël que je destine à une dame, continua-t-il, devenant plus prolixe en retrouvant le discours qu’il avait préparé ; et je vous dois certainement toutes sortes d’excuses pour vous déranger à propos d’une si mince affaire. Mais j’ai été négligent hier ; il faut que je fasse mon petit compliment à dîner ; et comme vous savez, un riche mariage vaut qu’on s’en préoccupe.

Une pause suivit : le marchand semblait peser ce récit avec incrédulité. Le tic-tac de plusieurs pendules, parmi le curieux fouillis de la boutique, et le bruit étouffé des voitures roulant dans les rues voisines remplirent le silence.

— Très bien, monsieur, admettons, dit le marchand. Vous êtes une vieille pratique, après tout, et si, comme vous le dites, vous avez chance de conclure un beau mariage, je suis loin de vouloir y mettre obstacle… Voici quelque chose de gentil pour une dame, continua-t-il : cette glace à main, quinzième siècle garanti, vient aussi d’une bonne collection, mais dont je tais le nom, dans l’intérêt de mon client, qui est comme vous-même, cher monsieur, le neveu et l’unique héritier d’un collectionneur insigne.

Tandis que le marchand, tout en parlant de sa voix sèche et mordante, se baissait pour prendre l’objet, un choc ébranla Markheim, bond soudain de mainte tumultueuse passion à son visage. Impression qui disparut aussi vite que venue, sans laisser de trace, qu’un tremblement de la main qui maintenant prenait le miroir.

— Un miroir ? dit-il à voix rauque… Il s’arrêta et répéta plus clairement : Un miroir ? pour Noël ? Certes non.

— Et pourquoi pas ? demanda le marchand. Pourquoi pas un miroir ?

Markheim le regardait avec une expression ambiguë.

— Vous me demandez pourquoi ? dit-il. Pourquoi ? Regardez ici… regardez dedans… regardez-vous ! Aimez-vous voir ça ? Non ? Moi non plus… ni personne.

Le petit homme avait sauté en arrière au moment où Markheim l’avait si brusquement mis en face du miroir… Voyant que rien de pire ne menaçait, il ricana.

— Votre future lady doit être assez mal partagée, dit-il.

— Je vous demande un cadeau de Noël, dit Markheim, et vous me donnez ceci… ce memento damné des ans, des péchés et des folies… cette conscience-à-main ! Y songez-vous ? Avez-vous une pensée dans l’esprit ? dites-moi. Instamment, je vous convie à me le dire. Voyons, dites-moi quelque