Page:La Revue blanche, t24, 1901.djvu/93

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Markheim, changé en glaçon, regarda le mort. Mais non ! il restait tout à fait tranquille ; il avait fui loin, hors de portée du bruit de ces cris et de ces coups ; il avait sombré au fond de mers du silence ; et son nom, qui aurait autrefois attiré son attention par-dessus le rugissement d’une tempête, était devenu un son vide de sens. Bientôt le monsieur jovial cessa de tambouriner et partit.

C’était pour lui un avertissement direct d’avoir à hâter ce qu’il lui restait à faire, de quitter ce voisinage accusateur, de se plonger dans un bain de foule londonnienne, et de gagner, à la fin de la journée, ce havre de repos et d’innocence apparente… son lit. Un visiteur était venu ; un autre pouvait suivre et être plus obstiné. Avoir commis l’action et cependant n’en pas avoir le profit serait un trop horrible échec. L’argent était alors le but de Markheim, et le moyen de l’obtenir, les clefs.

Avec une contraction de l’estomac, il s’approcha du corps de sa victime. En elle le caractère humain n’existait plus. Comme un mannequin à demi plein de son, les membres étaient épars, le tronc plié, et cependant la chose lui répugnait. Sans doute c’était fort terne et bien peu inquiétant à l’œil, mais il craignait que ce fût moins bénin au toucher. Il prit le cadavre par les épaules et le mit sur le dos. Ce corps était étrangement léger et souple, et les membres, comme s’ils avaient été brisés, prirent les positions les plus anormales. Le visage, dénué de toute expression, était pâle comme cire et vilainement souillé de sang près d’une tempe. Ce fut pour Markheim la circonstance pénible. Cela le reporta, en un instant, à certain jour de foire dans un village de pêcheurs, — jour gris, vent aigre, la foule dans la rue, la sonnerie des cuivres, le grondement des tambours, la voix nasillarde d’un chanteur ambulant — et à ce gamin qui, allant et venant, plongé dans la foule jusque par dessus la tête, vit enfin la baraque où se perpétuaient en barbares coloriages Brownrigg et son apprenti, les Mannings avec leur hôte assassiné, Weare dans l’étreinte mortelle de Thurtell, et une vingtaine d’autres crimes célèbres. La chose était claire comme une illusion ; il était de nouveau ce petit garçon ; il regardait encore, et avec le même sentiment de révolte physique, ces viles peintures ; il était encore assourdi par le bruit des tambours. Une mesure de la musique de ce jour-là lui revint à la mémoire ; et à cela, pour la première fois il eut un serre