Page:La Revue blanche, t25, 1901.djvu/364

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méprisable ; qu’ils assimilent les envahisseurs aux bêtes féroces ; que, selon la foi bouddhique, le soldat (et surtout l’officier, en tant que tueur professionnel) renaît animal carnassier ; bref, que l’expédition militaire en Chine, apparemment nécessaire, extirperait le reste d’estime que les Chinois avaient pour les Européens. La Russie ferait assumer la responsabilité des horreurs guerrières par son seul rival possible dans la Chine septentrionale : chance inespérée ! et l’on regrettait déjà d’avoir imputé à ce pauvre Mouravioff un concours de circonstances qui, maintenant, tournait au profit de la politique russe.

Affichant une noble fureur, se posant en nouvel Attila, l’empereur d’Allemagne donna, de vigueur, dans le piège. Guillaume, Waldersee et leurs subalternes devinrent l’épouvantail des Chinois. Et pendant qu’en Chine la tourbe occidentale ruinait le prestige civilisateur de l’Occident au profit du prestige russe, les « États tributaires », Mandchourie, Mongolie et Turkestan, furent tranquillement et savamment organisés sur le modèle du khanat russe de Boukhara. La construction du véritable chemin de fer transasiatique, celui du Baïkal à Kalgen, fut entreprise. L’état d’esprit de la Chine septentrionale fut dextrement travaillé et se manifesta favorable aux prétentions russes. Désormais, la dynastie mandchoue, sauvée par la Russie, et guidée tout ensemble par le clergé bouddhique et par le tsar, traite celui-ci presque en suzerain ; et toute manifestation économique de l’Allemagne dans la Chine septentrionale est rendue illusoire pour une série d’années.

Tel est le schéma des événements qui se sont produits. À première vue, il peut sembler paradoxal : — cela tient uniquement à sa nudité ; mais comment montrer en les quelques pages d’une revue le vaste ensemble des événements qui le feraient disparaître sous leur diaprure ? Il importait, du moins, de constater la marche générale des événements : car, encore une fois, l’affaire chinoise est rigoureusement cohérente et tout fait nouveau trouvera sa place, son explication et son sens dans l’ensemble des faits que ce schéma coordonne.

La collaboration de la politique russe avec les principes commerciaux (ou « haine de l’étranger » ) chinois a pour résultat, à l’heure actuelle, une simple défaite de l’Occident. Mais l’affaire, dans son ensemble n’est pas politique. La Russie poursuit des buts d’ordre économique, l’Occident a voulu faire de même, et la nation chinoise n’en a jamais eu d’autres.

Ainsi, la question réintègre son véritable domaine, mais dans des conditions complètement modifiées : et c’est à les modifier que tendait l’entreprise russo-chinoise.

Il est évident que le rêve des Occidentaux (et de leurs abominables petits singes, les Japonais) était de créer en Chine une espèce d’Inde. Mais ils s’y sont mal pris. (Il est permis de s’en réjouir comme Occidental, car la non-réalisation de ce rêve a pour effet de reculer l’échéance de la définitive catastrophe économique de l’Europe.) En effet, l’état d’esprit dans la Chine septentrionale est tel que, les hostilités actuelles