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La Triplice Asiatique
tsar, dalai-lama, hoang-ti

C’est l’action concertée du gouvernement russe, du haut clergé bouddhique et de la dynastie mandchoue qui anime l’énorme tragi-comédie d’Extrême-Orient. Le point de départ, le terrain, le but et jusqu’à l’existence de cette action sont restés inconnus de l’Occident. La machine diplomatique qui, depuis quelque sept ans, travaille avec précision dans les ténèbres de la Haute-Asie est d’un dispositif assez compliqué. Pour qu’on en perçoive le fonctionnement, une analyse préalable est nécessaire : elle sera forcément historique. En sa rigueur, elle ne laisse pas de se parer du charme d’un conte merveilleux.

En Asie, tout s’éternise. L’enchevêtrement des affaires politiques poursuit son entrelacs à travers des siècles. Et tel événement historique qui met en scène des contemporains s’explique par le geste initial de leurs ancêtres de la vingtième génération…

Le bouddhisme, qui, depuis dix ans, s’impose aux Européens mêmes comme un facteur politique, était déjà constitué depuis plusieurs siècles en une Église dominatrice de l’Asie, quand, peu avant l’avènement en Chine de la dynastie mandchoue, il devint l’arbitre des plus grandes questions soulevées dans le grand continent.

La doctrine de la réincarnation, qui veut que les chefs suprêmes de l’Église soient des Bouddhas revenus sur la terre, avait déjà provoqué au Thibet l’institution de deux papes, hommes-dieux, de sainteté égale, dont l’un, le Pantchen-Lama, incarnait la sagesse, l’autre, le r’Gyamtso-Lama, le génie administratif présidant au sort de l’Église. Forte d’un tel gouvernement surhumain, et d’un clergé qui était l’élite des nations où le bouddhisme régnait, l’Église avait gagné une influence profonde sur l’âme de centaines de millions d’Asiates.

Et voici enfin le fait décisif qui devait entraîner jusqu’aux événements singuliers de l’heure présente : la dynastie mandchoue n’a pu s’instaurer et ne pouvait persister en Chine que par l’influence de l’Église. Cette vérité si nouvelle vaut qu’on l’établisse historiquement. El l’on verra comment la petite « Affaire chinoise » naît d’une entreprise russo-bouddhique d’envergure colossale.

La dynastie Ming, installée au trône impérial de Pékin par la révolution qui avait chassé Toghan-Temour, le dernier des Djinghizkhanides, ne sut maintenir son autorité à l’intérieur au-delà du moment où ses principes confoutsistes et nationalistes furent en conflit avec ceux de l’Église bouddhique, arrivée au pouvoir suprême par la dynastie du