Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/207

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grand empereur mongol. De plus, des dissentiments amers s’élevaient au sein de la dynastie Ming, et, à partir du milieu du xvie siècle, la force gouvernementale se restreignait à la gestion des affaires intérieures.

Cet état de faiblesse souleva aussitôt de nouvelles convoitises des grands-princes mongols, descendants de Djinghiz-Khaghan. Le principal représentant de cette illustre famille, Altan-Khaghan des Ordos, avait, par un labeur politique de cinquante ans, réuni sous son sceptre la majorité de la nation mongole ; et il rêvait de rétablir sa dynastie sur le trône de Chine. Se souvenant sans doute du parti merveilleux que son aïeul Khoubilaï avait tiré du concours de l’Église, et bien au courant de la situation en Chine, il lui parut indispensable de se concilier l’immense autorité du r’Gyamtso-Lama, roi théocratique du Thibet, et chef suprême de l’Église. Il lui offrit de consacrer politiquement sa dignité spirituelle en le désignant comme seigneur spirituel de tous les fidèles, et demanda en revanche le titre de « Seigneur et Soigneur des Dons de la Religion », lequel équivalait à peu près à celui d’empereur universel des bouddhistes. Le r’Gyamtso-Lama de Lhassa acquiesça. Il fut prié à la cour d’Altan-Khaghan. Le neveu de celui-ci, Ssetsen-Khungtaïdji, l’y conduisit avec les plus grands honneurs. Il y eut une fête splendide à laquelle assistaient, dit-on, plus de cent mille personnes. Le Khaghan conféra à son hôte le célèbre titre de Vadjradhara-Dalaï-Lama, « Lama-Océan Détenteur du Sceptre » ; au banquet qui suivit la cérémonie d’investiture, cet événement historique d’importance mondiale fut consacré par un beau discours prononcé par Ssetsen-Khungtaïdji. Il s’exprima de la sorte :

« En conséquence de bénédictions antérieures, nous voyons ici le Lama comme objet réel de l’adoration, et le Khaghan comme seigneur des dons de la religion, tels le soleil et la lune quand ils se lèvent ensemble au ciel bleu et pur. Par l’ordre du Prince des Dieux, Hormouzda, notre aïeul Ssoutou Bogdo Djinghiz-Khaghan groupa sous son sceptre les cinq couleurs de son propre peuple et les quatre peuples parents. Ses deux petits-fils, la réincarnation du Bouddha, Godan-Kliaghan, et Khoubilaï Ssetsen-Khaghan qui tourna les mille roues dorées de la domination, mirent à la tête de l’administration spirituelle l’approfondisseur des abîmes du savoir, Ssaskya Pandita, et le flambeau de la foi des êtres respirant, le roi de la doctrine Phagspa-Lama ; et, en suivant leur exemple, les princes croyants des Mongols invitèrent les Lamas des Ssaskya et donnèrent aux êtres respirant la félicité par la gestion loyale des deux administrations. Plus tard, depuis l’époque de Toghan Temour Oukhaghatou Ssetsen-Khaghan jusqu’à présent, il y eut des vicissitudes religieuses et politiques : les péchés et les crimes augmentèrent ; nous versâmes le sang ; nous jouîmes de la chair d’êtres viables. Mais, à partir de ce jour, où, par la réversibilité de la roue des temps, nous voyons, dans la splendeur du soleil, le Sakya-Mouni dans la personne de Bogdo-Lama, et le seigneur de la terre Hormouzda dans la personne du puissant Khaghan : à partir de cette grande journée féconde, l’immense fleuve de sang qui délirait en vagues affreuses se mue en un océan lacté, profond et calme. Confiant dans le Khaghan et le