Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/213

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Pour qu’elle puisse établir son monopole minier et commercial, en Chan-si, Chen-si et Ken-sou, les pays du monde les plus riches en fer et charbon, il faut que la Russie exerce une véritable suzeraineté sur la dynastie mandchoue (qu’il importe cependant de ne pas trop affaiblir, sous peine de voir des rivaux européens s’établir en Chine avant que la Russie ne soit capable de la mettre en valeur).

Cette idée presque monstrueuse devint tout d’un coup réalisable vers 1890.

Les relations officielles entre Pékin et Lhassa furent, en effet, rompues en 1890.

Ç’avait été la conséquence d’une grave maladresse du gouvernement anglais. Il y a longtemps déjà, quand le gouvernement britannique de l’Inde avait annexé le district de Lhadak, indubitablement tibétain, le Dalaï-Lama avait sommé l’empereur d’intervenir. La cour de Pékin, qui venait d’être mise en échec par les Puissances occidentales, en était absolument incapable. Le district en question se trouvant fort loin de Lhassa, le Dalaï-Lama se résigna. Mais, d’un côté, l’harmonie mandchou-tibétaine avait reçu le premier choc ; et d’autre part, l’Angleterre s’était fait du Dalaï-Lama, dont elle ne soupçonnait pas la force, un ennemi mortel.

L’oligarchie de Lhassa fit, à partir de ce moment, revivre son activité secrète. Le De-sri, en sa qualité de général de propagande fide, se souvenant du temps qui avait précédé l’avènement des Mandchous, entreprit une vaste campagne pour le rétablissement de l’autorité lhasséenne dans le monde bouddhique tout entier ; depuis la Mandchourie (peuplée déjà exclusivement de Chinois, les Mandchous ayant été assimilés) jusqu’en Birmanie, depuis le Pendjab jusqu’au Baïkal, se faisait sentir la force de l’idée « panbouddhique « , incarnée dans la personne du saint Dalaï-Lama ; en Mongolie, en Chine, au Turkestan, au Siam, on chantait des chansons populaires qui parfois étaient d’un caractère nettement subversif du régime politique existant. Mais à peine cette immense propagande préparatoire eut-elle fait espérer à Lhassa la victoire finale de l’Église, que l’Angleterre, d’un coup grossier et qui porte le stigmate de la plus désastreuse ignorance, précipita la marche des événements et fit involontairement de son grand ennemi, le Dalaï-Lama, l’arbitre des différends que le souci d’une domination universelle a fait surgir entre l’Angleterre et la Russie.

Le gouvernement de l’Inde annexa, en 1890, le district du Sikkim, qui contient la montagne sainte du Cantchindjinga, et s’étend loin au nord de la crête de l’Himalaya, frontière tibétaine. Cette nouvelle incursion sur son territoire, à une distance relativement petite de Lhassa, acheva d’indigner le Dalaï-Lama. Et… la constellation des forces qui gouvernent l’Asie en fut profondément affectée.

Le Dalaï-Lama somma l’Empereur de se conformer strictement au concordat et de maintenir l’intégrité territoriale de son domaine ; il menaça, en cas de refus, de considérer l’ancien traité comme nul, de ne