Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/217

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Le soir d’hiver où, à la splendeur blanche de la lune, il franchit entre Kiakhta et Maïmatchin la ligne qui avait séparé les deux plus grands empires du monde ; au moment où cet homme extraordinaire qui portait sur lui le mystère du « péril jaune », alla rejoindre au galop de son cheval sa caravane déjà loin, enfin, il me répondit :

« Oui ; je retourne à Lhassa, le nombril du monde. Regarde : tout tourne autour de ce nombril. Encore une fois, la toute-puissance de Sakya-Mouni, incarnée dans mon Seigneur divin, le Dalaï-Lama, se manifeste pour le bonheur des êtres respirants… »

Il fit un geste d’une grandeur saisissante vers l’immensité neigeuse du désert.

« Oui ; l’univers embrassera la foi et sera rédimé. Oui ; dans ce but j’ai travaillé. Oui ; de Lhassa éternellement émaneront force et puissance : Bouddha est le centre. Oui ; par la vertu du flambeau de la foi, le Pantchen-Lama, j’ai accompli ma tâche. Oui ; Bouddha a transplanté Pékin de la mer Jaune à la mer Blanche… Et l’empereur des Russes est à partir de ce temps le Seigneur et Soigneur des Dons de la Religion… »

Il me tendit la main et son regard étrangement calme cherchait à scruter mes pensées. Enfin, il sourit.

« Bonheur sur toi. Viens à Lhassa. »

Il retourna son cheval. Et à mesure qu’il s’éloignait, la lueur bleuâtre et glaciale de la lune, reflétée de la soie d’or de son manteau, semblait agrandir, et finalement résoudre son corps dans une vaste auréole argentée.

Alexandre Ular