Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/255

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sion assez grande et qui montre bien que les israélites ne répugnent pas plus au travail de la terre qu’à tout autre [1].

EN TURQUIE

Le désir du changement, dans le peuple, est toujours la conséquence d’un accroissement de malaise et de misère. Émigrations, exodes, révoltes, vagabondage n’ont pas d’autre origine, mais les historiens, en général, sont trop imbus d’intellectualisme pour toucher à ces réalités.

Dans la province de l’Yémen les communautés israélites mènent une vie précaire et des plus malheureuses. Au milieu d’une population dont les mœurs et les usages ne diffèrent guère de ce qu’ils étaient au xviie siècle, ces israélites subissent toutes sortes de vexations et d’humiliations. Aussi ne faut-il pas s’étonner de les voir hantés par l’idée messianique, rêve de délivrance et de salut ; tous les misérables en sont là ; lorsqu’ils ne songent pas à Jérusalem, ils pensent à une société future ; ils prennent leurs désirs et leurs aspirations pour des réalités et des possibilités.

Voici l’extrait d’une intéressante lettre adressée au comité central de l’Alliance :

« Depuis quelque temps, les israélites de l’Yémen se sont avisés d’émigrer en Palestine. Naturellement ils échouent tout d’abord à Alexandrie, où ils demandent à leurs coreligionnaires les moyens de continuer leur voyage Ils viennent par groupe de 50 à 60, hâves et décharnés, à demi-vêtus de loques sordides. Leur physionomie respire un profond abattement et reflète les souffrances morales et physiques que leur ont infligées des populations encore barbares et cruelles. Leur aspect fait peine à voir, leur misère défie toute description. Il y a parmi eux beaucoup de femmes, de jeunes filles aux yeux noirs et rêveurs, aux traits fins et réguliers, au teint brun foncé, mais agréable. C’est une vague évocation de la gracieuse héroïne du Cantique des Cantiques, moins le cadre enchanteur d’Engaddi. J’ai visité ces pauvres Yéménites dans le local que les communautés affectent à l’usage des étrangers de passage. Les malheureux y sont parqués comme des bêtes dans une regrettable promiscuité… La famine et l’insécurité, deux fléaux à l’état endémique dans la région de l’Yémen ont affolé ces hommes. Et Jérusalem se présente à leur imagination comme un asile où n’ont pas prise les déboires de la vie… »

Voici des renseignements plus précis, extraits d’une lettre de février 1899 :

« La misère force la plupart des jeunes gens à quitter leurs familles ; beaucoup d’entre eux meurent de faim, d’autres mettent volontairement fin à leur

  1. Pour être précis, nous citerons les écoles agricoles de Jaffa et de Djédéïda. La première compte à l’heure actuelle 201 élèves et la seconde plus de 130. Évidemment cela est peu de chose au point de vue de ce qui resterait à faire. On ne doit pas se leurrer. En citant ces exemples nous voulons simplement prouver que les Israélites n’ont pas cette horreur du travail manuel et terrien qu’on leur attribue. Au mois d’octobre 1897 un grand nombre d’artisans juifs adressaient une pétition à la reine Victoria demandant la permission de fonder une colonie agricole dans l’île de Chypre.