Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/258

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Les rabbins, assis sur de vieilles nattes pourries, chantonnent leur cours monotone et routinier devant les enfants accroupis sur la terre humide. Dans ce cloaque réellement infect grouillent souvent de 150 à 200 élèves ; quand ils ont achevé leur cycle d’études — s’il est permis d’employer ce terme ils se lancent dans le commerce ou se casent comme apprentis. À part trois ou quatre personnes aisées, tout le mellah est pauvre, végète au jour le jour ; les habitants gagnent tant bien que mal leur pain quand la récolte est satisfaisante, et tombent dans la plus noire détresse pendant les années de disette. »

Il y a quelques semaines M. Ribbi écrivait encore de Marrakesch :

« En été, le mellah, par 35° de chaleur, devient une fournaise empoisonnée. Aussi les épidémies ne sont-elles pas rares ; la fièvre typhoïde s’abat sur ces pauvres juifs insuffisamment nourris et entassés dans des réduits malsains. Le mois d’Ab est redouté de ces malheureux, car c’est, pensent-ils, « l’époque où le courroux céleste vient rappeler au peuple saint que Juda a péché et qu’il expie toujours ses fautes. » Pénétrons dans un de ces intérieurs misérables : une porte basse donne accès sur une cour encadrée de quatre pièces. Le seuil de la maison franchi, une odeur nauséabonde saisit le visiteur à la gorge ; pas d’air, pas de fenêtre, tout au plus de petites lucarnes prenait jour sur le couloir qui longe les quatre murs ; une mare stagnante croupit au milieu de la cour ; point de cabinet d’aisances : en un mot rien n’entrave et toute favorise le développement des germes et miasmes d’où proviennent les épidémies ; c’est par miracle que le mellah a jusqu’à ce jour échappé à la peste [1].

Voilà les conditions extérieures ; elles permettent d’imaginer la vie qu’on mène dans ces taudis. Les 15 000 juifs du mellah sont entassés réellement les uns sur les autres. Une famille de 10 personnes vit dans une même chambre, pour un loyer de 5 francs par mois, prix d’ailleurs très dur à payer quand le père de famille gagne à peine 0 fr. 75 c. par jour ; comme alimentation, une miche de pain et des olives ; comme vêtements, des haillons sordides. Une natte étendue sur le sol, et voilà le lit, où toute la nichée dort dans une navrante promiscuité ; le matériel de cuisine est des plus simples : un réchaud, deux casseroles, quelques écuelles et cuillers en bois ; la soupe est distribuée par la mère aux garçons, et s’il en reste dans la marmite, ce sera pour la mère et les filles.

La femme travaille. Plusieurs juives de Marrakesch sont couturières. Dans un enclos situé entre le mellah et la m’dinah on peut en voir une cinquantaine de malheureuses, accroupies sur la terre, habillées de chiffons et rapiéçant de vieilles tuniques de soldats ; comme salaire d’une journée de travail, une demi-peseta, soit 0 fr. 40 c. Les mieux payées touchent 0 fr. 60 c.

Les domestiques juives, assez nombreuses, gagnent, de 3 à 5 pesetas par mois. D’autres femmes, pieds nus, une lourde cruche sur l’épaule, font la navette tout le jour entre le réservoir public et les maisons qu’elles approvisionnent d’eau.

  1. Tandis que nous transcrivons cette correspondance une épidémie de typhus et de choléra sévit sur la population des indigents de Fez : par jour, il meurt, en moyenne, 40 juifs pauvres.