Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/276

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ritoire », en Russie, avait obligé les juifs à se dévorer entre eux, et à créer parfois un système d’usure dont leurs coreligionnaires sont les premières victimes ; est-ce que cela n’est pas une explication assez claire de la pauvreté du plus grand nombre et de l’enrichissement des autres ?

Nous avons vu des familles pauvres se convertir à l’islamisme, des ouvriers de Londres indifférents au culte et n’observant plus le sabbat ; et cela ne dessille pas les yeux des moins clairvoyants sur la prétendue invariabilité de la race ?

Nous avons vu les émigrants de Russie et de Roumanie acceptant les salaires les plus dérisoires et accomplissant les travaux les plus durs, et les plus répugnants ; comment concilier ces faits avec la « rapacité invétérée » et le dégoût des professions manuelles ? [1]

Nous avons signalé l’empressement des israélites pauvres et même des « intellectuels » à se livrer aux occupations des champs (Palestine, États-Unis, République Argentine, etc.). Que reste-t-il du préjugé anti-agricole ?

Plus on observe, plus on réfléchit, et plus on s’aperçoit que l’absotisme antisémite est sans fondement et contraire aux faits inconstatables. Nul ne songea nier qu’il y ait une fraction de juifs agioteurs, spéculateurs, financiers, marchands : que cette fraction a été quelquefois plus habile et plus heureuse, dans ses opérations, que les chrétiens ( « les lois ont fait le juif tel qu’il est » ), mais il faudra, désormais, si l’on veut être un historien impartial et un pamphlétaire écouté tenir compte de l’existence du prolétariat juif et préciser le débat.

Henri Dagan
  1. « Si quelque chose, a écrit Renan, résulte du travail que nous avons inséré dans l’Histoire littéraire de la France (tome xxvii) sur la situation des juifs au moyen âge c’est qu’avant la fin du xiiie siècle, les juifs exerçaient exactement les mêmes professions que les Français. »

    Du reste les citations du Talmnd sont assez nombreuses à l’endroit du travail. En voici quelques-unes : « Le travail manuel est aimé de Dieu » (Tossifta Baba Kama, ch. 4). « Enseigne à ton fils un métier convenable » (Mischna. Kidduschin iv, 13). « Aussi bien qu’on est obligé de nourrir son fils, on est obligé de lui enseigner une profession manuelle » (Kidduschim 30 b.). « Le plus beau travail est le travail de la terre ; quoi qu’il soit beaucoup moins profitable il doit être préféré à tout autre » (Jebamot 63 a). « Ecorche une charogne sur la place, reçois ton salaire et ne dis pas : c’est trop humiliant pour moi » (Pessachim 113 a) etc., etc.

    Ce n’est qu’après les Croisades que des édits nombreux dans tous les pays interdisent aux juifs de s’occuper d’agriculture et d’exercer des métiers.

    La décision canonique du concile de Latran défendait aux Juifs d’employer les chrétien pour l’exécution de travaux, ce qui les oblige à abandonner les travaux agricoles et à se livrer au commerce. En Aragon l’édit du 12 janvier 1412 défendait aux Juifs d’être artisans. Le pape Benoit xiii a lancé le 11 mai 1415 une bulle de 11 articles défendant aux juifs de s’occuper d’un métier quelconque. Le pape Pie v leur défendit d’avoir des terres et de s’occuper d’un autre métier que de celui de fripier (19 avril 1566), etc. Voir Grœtz et Kurrein. Voia aussi Enquête sur l’Antisémitisme, par Henri Dagan ; Stock, éd.