Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/416

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du matin, la chaleur devenait telle qu’on était obligé de faire rentrer les troupeaux dans les étables, et qu’il était interdit aux militaires de la garnison de sortir des baraquements avant trois heures de l’après-midi. Les indigènes, eux, demeuraient au chantier et continuaient la terrible tâche. La plupart grelottaient de fièvre, plusieurs tombaient. À midi, ils recevaient pour toute pitance la moitié d’un pain de troupe — on lit bien : du pain sec — et c’était là leur seule nourriture jusqu’au soir, au moment où, longtemps après le coucher du soleil, ils quittaient leur besogne et regagnaient la ferme. Leur repas du soir se composait uniquement — quel que fût leur nombre — de la tête bouillie du mouton que l’on tuait chaque matin pour la garnison. Il est vrai que j’ai vu maintes fois les fusiliers disciplinaires, malgré la défense qui leur en avait été faite et les punitions graves qu’ils encouraient s’ils étaient surpris, partager charitablement, en cachette, leurs gamelles avec les condamnés indigènes.

Près des tirailleurs qui gardaient les détenus au chantier, un disciplinaire dirigeait le travail, un bâton à la main. Cet homme sans pitié s’acquittait en véritable garde-chiourme de ses fonctions de surveillant et de délateur. Mais, je dois le dire, ce disciplinaire ainsi que le forgeron étaient profondément méprisés de leurs camarades qui les tenaient en une perpétuelle quarantaine, et l’inhumanité de ces deux êtres faisait, heureusement, parmi les autres fusiliers de discipline, une exception. Impitoyable pour la faiblesse et l’état maladif des condamnés, il refusait à ces parias le moindre moment de repos, frappait cruellement ceux qui l’imploraient, et signalait au sergent Coulomb ceux qui, pendant la journée, avaient montré le moins d’ardeur au travail. Cette délation attirait aux malheureux qui en étaient les victimes une nouvelle et douloureuse correction de la part du sergent et, souvent, une aggravation de peine par le bureau arabe de Laghouat.

Des indigènes, sachant par ouï-dire ou par expérience les formalités de la « fouille » à l’arrivée à Tadmit, parvenaient quelquefois à tromper la surveillance des spahis qui les amenaient, et à dissimuler dans quelque buisson ou dans quelque fossé du domaine, le long du chemin, les valeurs ou les bijoux qu’ils possédaient au moment de leur arrestation. Le disciplinaire connaissait ces habitudes, et, soit par la crainte, soit par des promesses, il arrachait aux détenus le secret des cachettes, et s’appropriait sans scrupule ce qu’elles contenaient[1]. Il me montra un jour des bagues en argent, d’origine touareg et d’un travail très curieux, qu’il avait ainsi obtenues le matin d’un de ses prisonniers par la promesse qu’il lui accorderait, au chantier, quelques moments de

  1. Le bruit courait à Tadmit que Coulomb et Perrin, de leur côté, ne reculaient pas devant de tels procédés pour arrondir leurs émoluments, et qu’ils étaient le plus souvent de connivence avec le disciplinaire à qui ils avaient confié la surveillance du chantier indigène. Mais cela, je ne puis l’avancer, mon séjour à Tadmit ayant été trop court pour que j’aie pu m’en apercevoir.