Page:La Revue blanche, t26, 1901.djvu/55

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que, comme je l’ai plus haut caractérisé, la musique d’opéra ne concorde pas avec ce recueillement, répondant à la seule musique, où la vue perd ses facultés au point que l’œil ne perçoit plus les objets avec l’habituelle intensité ; par contre, n’étant émus que superficiellement par la musique, plus excités que pénétrés par elle, nous désirons encore voir quelque chose, — mais nullement penser ; car ici la distraction, qui, tout au plus ne combat que l’ennui, contrarie le désir de s’intéresser, et nous ravit entièrement la faculté de penser.

Nous sommes assez familiarisés avec la nature de Beethoven pour comprendre qu’il refusât d’écrire jamais un opéra sur un texte frivole. Faire de la musique avec des ballets, des cortèges, des feux d’artifice, de voluptueuses intrigues d’amour, etc., c’est ce qu’il repoussait avec horreur. Sa musique devait pouvoir pénétrer entièrement une action empreinte d’une noble passion. Quel poète en cela pouvait lui tendre la main ? Un essai, une fois tenté, le mit en contact avec une situation dramatique qui, du moins en soi, n’avait rien de la frivolité qu’il détestait, et en outre, par la glorification de la fidélité féminine, correspondait bien à son dogme fondamental d’humanité. Et cependant ce sujet d’opéra contenait tant de choses étrangères à la musique et qui lui étaient inassimilables que seule l’ouverture de Léonore nous montre réellement comment Beethoven voulait avoir compris le drame. Qui entendra ce morceau entraînant, sans être rempli de la conviction que la musique renferme aussi en soi le drame le plus parfait ? L’action dramatique du texte est-elle autre chose qu’une atténuation presque irritante du drame vécu dans l’ouverture, en quelque sorte comme un commentaire ennuyeux de Gervinus à une scène de Shakespeare ?

Mais cette observation qui s’impose ici à notre sentiment peut devenir connaissance complètement claire quand nous revenons à l’explication philosophique de la musique même.

La musique, qui ne représente pas les idées contenues dans les apparences du monde, mais au contraire est elle-même une idée du monde, embrassant tout, enferme en soi le drame, alors que le drame lui-même exprime à son tour la seule idée du monde adéquate à la musique. Le drame s’élève au-dessus des limites de la poésie tout à fait comme la musique domine celles des autres arts, notamment des arts plastiques, parce que son action réside uniquement dans le sublime. De même que le drame ne décrit pas les caractères humains, mais les laisse se présenter immédiatement eux-mêmes, ainsi une musique, dans ses motifs, nous donne le caractère de toutes les manifestations du monde suivant leur En-soi le plus profond. Les mouvements, formations, transformations de ces motifs ne sont pas simplement apparentés, par analogie, au drame, mais le drame qui représente les idées peut uniquement par ces motifs musicaux, qui se meuvent, se forment, se transforment, être compris avec une clarté absolue. Ainsi, nous ne nous trompions pas quand nous voulions reconnaître dans la musique la disposition a priori de l’homme pour la forme du drame. De même que