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La Colonisation française
I

La politique intérieure que la « plus grande France » inflige à ses colonies peut-elle être envisagée comme la projection de la conscience nationale sur le champ de la barbarie, ainsi que l’affirment les champions de l’expansion coloniale ? Est-elle, au contraire, l’œuvre profonde, laborieusement étudiée et savamment combinée d’un parti qui aurait profité de l’indifférence nationale pour mettre la main sur toutes les possessions du pays ? Est-ce l’instabilité des gouvernements qui doit en être rendu responsable, encore que leur gestion coloniale soit toujours restée semblable à elle-même ? Faut-il dire qu’elle est le fait de ce Pavillon de Flore, dans l’architecture duquel entrent non seulement des pierres vénérables qui datent de Henri IV, mais encore ces matériaux plus modernes, obscurs et inamovibles, que nous appelons Les Bureaux ?

Quoi qu’il en soit, il est sûr que l’administration coloniale s’est fait un nombre incalculable d’ennemis qui lui reprochent :

D’abord, de ne pouvoir s’équilibrer nulle part, d’être sous toutes les latitudes la résultante hasardeuse, infiniment complexe et infiniment impuissante, de conflits ridicules entre des conceptions également flottantes, également vides, où c’est tantôt la diplomatie sournoise et lente, stérile et spécieuse, tantôt le coup de clairon cinglant, le coup de grosse caisse impératif qui l’emportent ;

Ensuite, de se livrer sur la matière coloniale à des expériences de haute fantaisie, illogiques et notoirement contradictoires, qu’interrompent des bruits de fusillades et des explosions d’obus apparemment destinés à en préciser le sens.

Il faut convenir que les mécontents ont raison, mais qu’ils ont tort surtout : raison de se lamenter, car tout est loin d’être pour le mieux dans ce monde ténébreux et sanglant qu’est cet immense domaine colonial : tort de crier à l’illogisme, car nous n’avons guère trouvé de logique, jusqu’ici, que dans l’administration coloniale.

Au-dessus des faits dissemblables, il est un principe qui inspire et domine toute la colonisation française.

Le programme colonial qu’on lui reproche de n’avoir pas su composer, elle l’a. Elle n’a, en effet, rien à envier ni à l’impérialisme anglais, ni au despotisme néerlandais, ni au fonctionnarisme portugais. Si ce programme colonial n’est pas affiché sur les murs de la métropole, il ne dort pas non plus dans les armoires de fer, et ces nuées de fonctionnaires que nous voyons s’envoler aux quatre coins du monde l’y