Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/198

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tion éternelle, elle s’appelait pécheresse, et son tourment s’avivait encore à ses remords.

L’aube germa. Mme Hauser, sentant le froid du parquet sous ses pieds nus, alla se coucher. Son sommeil fut sans éclaircies, sans cauchemars. Au matin, quand elle arriva à l’église, on finissait l’office, et comme elle s’asseyait, sur le banc de noyer, à sa place habituelle, elle aperçut dans la pénombre de la nef, entre les pilastres, une silhouette épaisse qui passait. Pour ne pas tomber, elle s’agenouilla. C’était lui, engraissé, blanchi, avec un ventre pareil à celui de M. Hauser !

Il semblait inspecter sa nouvelle église, regardait, s’arrêtait, puis s’étant approché d’elle, instinctivement il la reconnut.

Alors, ce furent de ternes effusions, des souvenirs sans larmes de sacerdotales poignées de mains. Sur un ton satisfait, il lui promit de lui présenter sa famille.

Mme Hauser était écrasée. L’épreuve suprême à laquelle aspirait sa vieillesse, cette entrevue que la fidélité de son amour estimait comme une inappréciable récompense, cette entrevue qu’elle n’osait imaginer tant elle lui paraissait inouïe, elle aboutissait ainsi en un froid échange de sentiments polis, avec des façons rustiques et banales de vieux camarades quittés la veille ! Non, cela elle ne pouvait le supporter. L’homme qu’elle avait aimé était mort ; celui-ci était un simulacre grossier créé pour la désillusionner, tuer son cœur ! Elle quitta l’église à petits pas, chemina machinalement, cherchant sa porte, et ne se retrouva que quand elle fut assise chez elle, devant la fenêtre ouverte, lasse, lasse avec la sensation que le sang s’en allait de ses jambes, la vidait peu à peu, tirant ses débiles forces. Elle fut ainsi une semaine, si étonnée, si candide, qu’elle semblait tombée en enfance. Enfin, dès qu’elle put sortir, ses premiers pas la conduisirent naturellement vers le presbytère. C’était le jour de Pâques.

Tous les quartiers de la ville résonnaient du son de cloches comme s’ils eussent été construits de métaux sonores. Une allégresse primavérile flottait dans le ciel, dans le duvet des nuages légers. Des tavernes, il sortait grand fracas : la foule était endimanchée et les petites filles avaient des boucles blondes. Mme Hauser sonna à la porte du jardin du presbytère encastrée dans une haie. Des voix enfantines, pilées de rire, argentaient l’air. On la fit entrer dans un salon propre mais sans coquetterie. Une femme très mûre, les cheveux tirés, la parole et les mouvements brusques, se présenta elle-même comme femme du pasteur. En même temps, les enfants, attirés par la nouveauté de sa physionomie, la dévisageaient, et un très jeune, familier, grimpa sur ses genoux en l’embrassant. À ce baiser, elle tâcha de sourire, mais son sourire douloureux et forcé effraya le petit comme une grimace. La femme du pasteur excusait cette inconvenance en disant : « C’est mon petit-fils. Ce n’est pas moi qui l’ai élevé… Si c’était moi, cela se passerait autrement ». Puis, sachant Mme Hauser une connaissance d’ancienne date, elle se crut obligée de lui expliquer sa vie, comme une sorte de réhabilitation exigée par l’amitié. Elle ne négligea rien, ni les protestations