Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/248

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La machine est disposée pour exécuter toujours les mêmes opérations : ce sont alors [les ouvriers] de purs manœuvres qui n’ont à acquérir que l’attention dans la surveillance des opérations et la promptitude des mouvements. On arrive alors à substituer à ces manœuvres les femmes et les enfants pour des travaux qui semblent peu leur convenir a priori.

Leur proportion ne dépasse pas toutefois 5 p. 100 en moyenne dans le travail du fer et de l’acier (elle atteint parfois 20 p. 100 dans la tôlerie). Dans le travail des autres métaux, elle arrive à 24 p. 100 en moyenne ; elle dépasse 50 p. 100 dans la ferblanterie, la fabrication des boutons, la batterie d’or [1].

Karl Marx, que nos économistes classiques ont pillé sans rendre justice à sa haute clairvoyance et à sa profondeur, écrivait au milieu du siècle dernier :

Quand le capital s’empara de la machine, son cri fut : Du travail de femmes, du travail d’enfants ! Ce moyen puissant de diminuer les labeurs de l’homme se changea aussitôt en moyen d’augmenter le nombre des salariés ; il courba tous les membres de la famille, sans distinction d’âge et de sexe, sous le bâton du capital [2].

L’utilisation croissante de la main-d’œuvre féminine est un fait général, partout où il y a un mouvement industriel accentué.

En Allemagne, l’enquête du 14 juin 1895 a constaté que, dans les professions industrielles (y compris les mines et forges), le nombre des ouvriers employés était de 3 022 554 en 1882 et de 4 626 714 en 1895 ; celui des ouvrières, de 583 850 et de 1 044 962 ; l’augmentation est donc de 1 603 160, soit 53,1 p. 100, pour les hommes, et de 46 112, soit 79 p. 100, pour les femmes [3].

On ne voit malheureusement pas pourquoi le remplacement des hommes par les femmes, qui s’accentue grâce à la coopération des machines supprimant la nécessité de la force physique et l’application de l’intelligence à l’exercice du métier, subirait un arrêt dans son développement. C’est une invasion dont la gravité frappe depuis longtemps tous les esprits et que le libre jeu des intérêts privés peut difficilement arrêter [4].

Rien n’est plus curieux que l’embarras des économistes orthodoxes lorsqu’ils ont à examiner ce phénomène si grave au point de vue familial. M. E. Levasseur, qui fait autorité dans les questions économiques, écrit d’abord :

Ceux qui trouvent qu’en France il serait désirable que les femmes fréquentassent moins dans les grandes manufactures gagneront à étudier de près les faits ; ils comprendront que, la grande industrie et la mécanique gagnant

  1. Office du travail (Ministère du Commerce et de l’Industrie). Salaires et durée du travail dans l’industrie française, tome Ier.
  2. Le Capital, chap. XV.
  3. Berufs und Geverbezahlung im Deutschen Reich, t. 119 ; Allgemeines Statist. Archiv. P 648.
  4. Office du travail. Salaires et durée du travail dans l’industrie française, tome Ier.