Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quelque-quelque chose me court derrière le cou !

De temps en temps vous pouviez percevoir une lutte étouffée et un « mon Dieu » de détresse ; alors vous saviez par là que quelqu’un fuyait devant quelque chose qu’il prenait pour une tarentule, et sans perdre de temps non plus. Voici qu’une voix, là-bas dans le coin, retentit claire et bruyante :

— Je la tiens ! je la tiens ! (Une pause et probablement un changement dans les circonstances.) Non, elle me tient ! Oh ! ils n’apporteront donc jamais la lanterne !

La lanterne arriva à ce moment entre les mains de Mme O’Flannigan, qui, dans son anxiété de savoir l’étendue du dégât causé par l’attaque du toit, n’en avait pas moins laissé passer un judicieux laps après s’être levée et avoir allumé, pour voir si le vent avait bien fini là-haut, ou s’il y avait encore affaire.

Le paysage qui se révéla quand la lanterne illumina la chambre était pittoresque, et il aurait paru drôle à bien des gens, mais pour nous il ne l’était pas. Quoique nous fussions si bizarrement perchés sur des caisses, des malles et des lits, et si étrangement accoutrés, nous étions trop profondément émus et trop sincèrement malheureux pour le trouver comique, et il n’y avait nulle part trace de sourire visible. Pour moi, je ne suis pas capable de souffrir plus que je ne l’ai fait, j’en suis sûr, durant ces quelques minutes de suspens dans la nuit, environné de ces tarentules rampantes et sanguinaires. J’avais sauté de lit en lit et de caisse en caisse en proie à une sueur froide et, chaque fois que je touchais quelque chose de velu, je croyais sentir des pinces. J’aimerais mieux aller à la guerre que de revivre cet épisode. Personne n’eut de mal. Celui qui avait cru qu’une tarentule le tenait s’était trompé, ce n’était que la fente d’une caisse qui lui avait pris le doigt. On ne revit jamais une seule de ces tarentules échappées. Elles étaient dix ou douze. Nous prîmes des chandelles et nous fouillâmes la pièce du haut, en bas à leur recherche, mais sans succès. Retournâmes-nous nous coucher après ? Pas du tout. On n’aurait pu nous le persuader pour de l’argent. Nous veillâmes le reste de la nuit en jouant au trictrac et en montant alertement la garde, de crainte de l’ennemi.

(À suivre.)
Mark Twain

Traduit de l’anglo-américain par Henri Motheré.