Page:La Revue blanche, t27, 1902.djvu/439

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en temps utile pour pouvoir y participer. Van Dorn nous avait promis de prolonger l’avertissement jusqu’à nous. Un soir Higbie rentra très agité et nous dit qu’il était sûr d’avoir reconnu Whiteman en ville, déguisé et dans un état simulé d’ébriété. Un moment après Van Dorn arriva et confirma la nouvelle ; nous nous rassemblâmes donc dans la cabane et nous combinâmes nos plans.

Nous devions quitter la ville, doucement, après minuit, en deux ou trois petits groupes, de manière à ne pas attirer l’attention, et nous retrouver à l’aurore sur les hauteurs du lac Mono, à 12 ou 13 kilomètres de distance. Nous ne devions faire aucun bruit et n’élever la voix sous aucun prétexte.

On croyait que, pour cette fois, par hasard, la présence de Whiteman était ignorée en ville et son expédition inattendue. Notre conclave se rompit à neuf heures et nous nous occupâmes de nos préparatifs avec activité et profond mystère. À onze heures du soir, nous sellâmes nos chevaux, nous les attachâmes avec leurs longs lassos, puis nous apportâmes un quartier de lard, un sac de haricots, un petit sac de café, du sucre, une centaine de livres de farine en sacs, des tasses en fer blanc et une cafetière, une poêle à frire et quelques autres ustensiles indispensables. Tout ce bagage devait être emballé sur le dos d’un cheval de main ; et maintenant, que tout homme qui n’a pas appris d’un professionnel espagnol à bâter un animal perde l’espoir d’y arriver à force d’adresse naturelle. C’est une chose impossible. Higbie avait quelques notions, mais n’était pas parfaitement expert. Il plaça le bât (selle qui ressemble à un tréteau de sciage) empila le matériel et enroula une corde tout autour, par dessus et par dessous, faisant des nœuds par-ci par-là, mais chaque fois que l’amarrage se raidissait à un endroit il se relâchait à l’autre. Jamais nous ne parvînmes à assujettir le chargement ; nous le ficelâmes assez pour qu’il tînt au petit bonheur, puis nous partîmes à la file indienne, en bon ordre et sans un mot. Il faisait nuit noire. Nous tenions le milieu de la route et nous avancions au petits pas le long des rangées de cabanes ; chaque fois qu’un mineur venait sur le pas de la porte, je tremblais de peur que la lueur de l’intérieur ne vînt à nous éclairer et à exciter la curiosité.

Mais il n’en fut rien. Nous entamions la longue rampe en lacets du défilé, dans la direction des massifs de montagnes ; voici que les cabanes commençaient à s’éparpiller, les intervalles qui les séparaient à s’élargir, et moi à respirer passablement à l’aise et à me sentir moins pareil à un voleur et à un meurtrier.