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La notion du Parfait dans l’enseignement

L’École, en dépit de ses prétentions souvent formulées, ne se propose pas avant tout de favoriser le développement intellectuel et physique de l’enfant : elle attache une importance prépondérante aux vérités mêmes qu’elle enseigne, comme si ces vérités avaient une valeur intrinsèque considérable. N’est-ce pas un fait significatif que, dans la plupart des pays civilisés, probablement dans tous, les connaissances que l’écolier doit acquérir constituent un total défini antérieurement, c’est-à-dire indépendant de lui ? Il y a du mysticisme dans l’idée que les pédagogues se font du savoir. « Toute personne bien élevée, disent-ils, doit savoir qui était Racine. » Pourquoi, Seigneur ? Nous devons tous aussi connaître la composition de l’eau et bien d’autres compositions encore. C’est à quelque chose qu’elle ne définit pas et qu’elle ne justifie pas, à quelque chose de vague mais de prestigieux, que l’école subordonne les goûts et les aptitudes de l’ignorant, de l’être humain. Sur l’autel du savoir l’enfant, sans comprendre, sacrifie son indigne puérilité. Beaucoup de ceux dont la profession est d’éduquer la jeunesse craindraient de ne pas honorer la science suffisamment en reconnaissant sa noble utilité et en révélant à leurs élèves son unité toujours plus compréhensive. Pour eux elle n’est pas seulement l’ensemble des moyens que l’homme emploie pour simplifier les rapports de son esprit avec la nature : elle est aussi le dieu nouveau, infiniment respectable. Ils croient à ce qui est « scientifiquement démontré » de la même façon que leurs pareils, jadis, accueillaient la vérité révélée. Après avoir chassé le Maître qui nous subjuguait — vain fantôme créé par notre imagination ou très réel potentat, — nous restons, par inertie et pour un temps assez long, courbés sous un vide. Certains naturalistes, dans les premières pages de leurs manuels, disent que la station droite est l’un des caractères qui distinguent l’homme de l’animal. L’être humain ne s’est pas encore redressé totalement, comme s’il craignait de se heurter à ce qui est au-dessus de lui. Nous allons voir que ce n’est pas sur les bancs de l’école qu’il apprend à rectifier son attitude.

On remet aux écoliers d’aujourd’hui des manuels fort bien composés. Comme leurs auteurs aiment à le dire, ils sont conformes aux programmes ; et celui qui sait tout ce qu’ils contiennent peut sans crainte se présenter devant les jurys officiels. Tel cours d’arithmétique débute par ces mots : « Les quatre opérations fondamentales sont : l’addition, la soustraction, la multiplication, la division. » Il y a donc quatre opérations fondamentales ? Il parait que oui. On ne commence pas par reconnaître dans un grand nombre de problèmes très variés un petit nombre de questions toujours les mêmes qu’il sera utile