Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/184

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cain), autorité collective, diffuse, impersonnelle, est encore la moins tyrannique.

D. Alors, l’État enseignant ? Oui, ou tout au moins ne déléguant son droit d’enseigner qu’après avoir exigé du maître les plus sérieuses garanties, non pas seulement au point de vue du savoir, mais de la liberté spirituelle. Je n’ai pas besoin d’insister là-dessus pour affirmer avec la société Condorcet qu’il y a « incompatibilité essentielle et absolue entre le caractère ecclésiastique et la fonction pédagogique ». Je pense comme Mme  Clémence Royer, qui m’écrivait quelques semaines avant sa mort : « Je trouverais parfaitement légitime d’interdire l’enseignement de l’enfance à tous les membres d’un clergé quelconque, régulier ou séculier, faisant profession de religions, qui se targuent d’être éclairées par les lumières surnaturelles ou extra-rationnelles d’une révélation, et cela par le fait qu’une pareille prétention suffit à constituer un état évident d’aliénation mentale et un cas particulier, quoique fréquent de nos jours, de la folie des grandeurs. »

De Mme Marcelle Tinayre :

1° Je n’ai été élevée, ni dans un couvent, ni dans un pensionnat laïque, ni dans un lycée de l’État. À l’âge de cinq ans, je fis mes débuts dans la vie scolaire dans une très petite école que de vagues religieuses tenaient dans un faubourg de Bordeaux. Cette école était délicieuse… Les maîtresses — étaient-ce bien des religieuses — s’appelaient « Madame Saint-Joseph » et « Madame Saint-Louis ». Il y avait un jardin plein de magnolias dont les grandes fleurs nous servaient à écrire, avec une épingle… Le soir, on allumait des bougies devant une vierge de plâtre et l’on « faisait le mois de Marie ». Je n’ai pas appris grand chose dans cette école, mais j’en ai gardé un souvenir très frais, très blanc, comme l’image même de ma première enfance.

Je quittai cet antre clérical pour des « boîtes » variées tenues par de vieilles demoiselles. Je me trouvai très bien partout, parce que j’avais beaucoup d’imagination. À huit ans, je fus élève d’une école primaire supérieure ; à neuf ans, d’une école primaire annexe d’une école normale ; puis je retombai dans les « boites » pour peu de temps. Ma mère fonda un cours privé où je travaillai sérieusement ; mais de quatorze à dix-sept ans, je ne reçus que des leçons particulières pour me préparer au baccalauréat. Mes maîtres m’enseignaient surtout l’art de travailler seule, et c’est un art que j’ai perfectionné depuis.

2° Je ne trois pas que cette éducation, relativement libérale mais pleine de contradictions amusantes, ait eu sur la formation de ma personne morale une influence appréciable. Il n’y avait pas d’élève plus facile que moi, et plus décevante, car mon indiscipline douce et respectueuse pouvait donner le change à mes parents et à mes maîtres sur l’effet de leurs leçons. En réalité, je me moquais bien des professeurs et des examens, n’ayant pas de plus cher souci que de composer des drames en trois mille vers et des romans historiques, avec un aplomb à faire frémir… Vous pensez bien que ces chefs-d’œuvre étaient faits de rémi-