Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/25

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— La sœur supérieure est entrée dans la classe. Elle a dit : Marguerite Bousset, votre frère est reçu le soixante quinzième à l’École Centrale. Moi je suis devenue toute blanche. Et la sœur a dit : C’est joli, le garçon d’un charron !

Paul passa devant la fenêtre. Pierre Bousset dit :

— Voilà Paul Lartigaud.

Il était ennuyé qu’on vînt les déranger au moment du repas. Par tempérament d’ouvrier économe, il n’aimait pas donner et pourtant il n’osait pas ne rien offrir. Paul entrait avec son continuel ricanement qui lui donnait de l’assurance.

— Hé ! hé ! hé ! Le voilà à table. Il mange de la galette. Eh bien ! Tu es content !

Tout le monde dit en même temps

— Asseyez-vous donc, monsieur Paul.

Jean Bousset sentait son bonheur s’accroître par la présence de quelqu’un qui le contemplait et, pensant à la veille, où il n’était pas encore « élève à l’École Centrale », triomphait du temps et des hommes.

Pierre Bousset dit :

— Vous mangerez bien un morceau de galette. Monsieur Paul ?

Et Paul secouait la tête, avec son ricanement :

— J’espère que vous allez arroser ça.

C’était une galette aux pommes de terre, chaude et dorée, dont la croûte était tendre, parce qu’ils n’avaient plus beaucoup de dents et dont la miette, pleine de beurre, fondait dans la bouche et y ruisselait. Après cela l’on boit un bon coup pour se mettre le cœur en place, puis l’on mange encore, pour se rassasier.

Pierre Bousset recevait la récompense de ses sacrifices et pensait : Ce sont les bourgeois qui doivent être en colère !

Et sa femme disait :

— N’est-ce pas que c’est joli, monsieur Paul ? Dame ! il n’y en a pas un autre dans le pays.

Pierre Bousset, le charron, était un homme de un mètre soixante-cinq centimètres, que le travail du charronnage avait rendu carré, rond, solide, mais que ses cinquante-