Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/354

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neur… » Mais pour légitimer la sévérité excessive de ces peines, le rapporteur s’exprimait ainsi : « … La raison n’aperçoit pas pourquoi le militaire, sujet de la loi comme citoyen, puni comme citoyen, ne jouirait pas du bénéfice de la loi générale… L’ordre des idées est ici bien différent. On se méprendrait, de nos jours, si l’on ne prétendait à l’obéissance aux lois que par la terreur des châtiments ; mais si l’intimidation n’a cessé d’être, et doit rester toujours une des conditions essentielles de la pénalité, c’est surtout à la peine militaire qu’il est indispensable de l’attacher. Le soldat trouve dans sa conscience une lumière et un guide, quand il s’agit de l’ordre purement moral ; en présence du vol ou du meurtre, il est averti d’avance : mais il n’a pas du devoir militaire la même notion vive et profonde ; il faut que l’esprit s’élève jusqu’à des considérations, qui justifient la gravité de la peine par la gravité du danger social, mais ne sont point accessibles, au même degré, pour toutes les intelligences. La pénalité militaire doit donc apparaître redoutable toujours ; il faut qu’elle saisisse l’imagination et l’âme du soldat. Voilà pourquoi on l’avertit, à chaque instant de sa vie militaire, pourquoi toutes ces punitions sont inscrites dans son livret ; pourquoi l’exécution des peines militaires est entourée d’un appareil particulier… »

Ces arguments se passent de tous commentaires.

Malgré l’erreur répandue, la peine de mort s’applique toujours aussi couramment — en Algérie et aux colonies surtout — et ces dernières semaines ont été ensanglantées encore par deux exécutions : l’une, à Tunis, d’un soldat de l’établissement militaire de Ti-Bourzouk ; l’autre (25 mars dernier), à Oran, du soldat Guiguen, appartenant au 2e étranger. Cette exécution fut particulièrement émouvante, et c’est avec la note — communiquée aux journaux par les agences — que je terminerai cet article. Nulle conclusion ne serait préférable : « Au réveil, Guiguen demanda la permission de voir les quatre autres condamnés à mort de la prison. Au poteau d’exécution, il refusa le bandeau, s’agenouilla et cria aux hommes du peloton : « "Vous pouvez y aller ! » Après le feu de salve, Guiguen, qui n’avait pas été tué, replia lentement ses bras autour de sa poitrine, comme pour comprimer la douleur qu’il ressentait. Un premier coup de grâce fut donné immédiatement. Le major, accouru, ordonna un deuxième coup de grâce. Guiguen, qui comptait une vingtaine d’années de service, laisse une veuve et un enfant. »

Charles Vallier

Sept photographies prises par l’auteur au moyen de la PHOTO-JUMELLE CARPENTIER.