Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/362

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toufle de grosse étoffe, le bonheur est dans la paix, il y a des horloges qui comptent une vie de province où tout est fixé.

Il traversait une forêt. C’est une chose à laquelle on s’entraîne depuis l’enfance. Il aperçut à droite, sur l’accotement, une de ces petites cabanes, faites avec un toit et un mur, en terre et en branches, qu’on appelle des cabanes de cantonniers. Bien triste abri, mais cher repos avec un sol sec pour que s’y assoient les loups. Il y avait trois bons côtés contre le vent, et les vagabonds étaient des rois quand il ne soufflait pas par l’ouverture. Tout petit, quand l’on passe en voiture avec son père, on dit : « Voilà des maisonnettes du Bon Dieu, elles ont poussé sur la route pour que les mendiants s’arrêtent et dorment avec leur besace. Mon père, elles ont un trou au toit et deux pierres pour le feu. » Il entra, il n’était pas très grand, mais il devait baisser la tête. Il s’assit sur une pierre, il lui revint des mots du pays : J’ai vu péter le loup blanc sur une pierre de bois. Il posa ses coudes sur ses genoux, il n’avait pas envie de fumer. Octobre s’accentuait et précédait novembre, la nuit s’en emparait en secouant les feuilles mortes et le promenait sous les arbres avec ce frisson sec qui balaie nos derniers courages. Il n’y a pas de maisons dans les bois. Petit Poucet grimpe aux branches et crie : Voici là bas une lumière ; c’est l’étoile du Berger ! D’abord il éteignait sa bougie, puis se glissait à tâtons dans les draps, dont la peau était rugueuse, après quoi il enroulait ses bras autour de sa poitrine, se berçait sur son cœur. La chaleur du lit est une tendresse. Il était seul ! Et la solitude s’épaississait encore à y penser, et il fut si profondément seul qu’aucun sentiment ne le préservait de lui-même et que cela tremblait en son sein comme une faim bizarre.

Vous ne savez pas que la nuit ressemble à la fin du monde. Un dernier goût d’omelette lui remontait encore et il n’y avait plus que cela qui le défendît du désespoir. La terre d’automne a des suintements et l’humidité des vallées pénètre la terre sèche de nos corps. Pourtant il était assis sur une pierre et il la tâta. Alors ce fut comme un esprit de suite, toutes les idées de sa tête avaient touché cette pierre,