Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/619

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Au dire des sœurs de la crèche de Bercy, les enfants des « tabatières » que leurs mères viennent allaiter à midi, ne s’endorment pas après la tétée, comme les autres enfants et ont des coliques et même de petites convulsions. (Revue d’hygiène 1880, p. 225).

M. le docteur Jacquemart a constaté que les enfants des ouvrières des manufactures de tabac nourris par leurs mères ont présenté une mortalité de 10 p. 100 plus élevée que ceux nourris au biberon. (Revue d’hygiène 1880, p. 900).

D’après le docteur Étienne, de Nancy, le pronostic est effrayant pour les enfants qui continuent à être allaités au sein maternel lorsque la mère est rentrée à la manufacture ; au contraire, il est très favorable pour ceux qui sont élevés au sein maternel sans que la mère ait repris son travail. La mortalité est notablement moindre chez les enfants nourris au sein maternel jusqu’au moment de la rentrée de la mère, puis, à partir de ce moment, élevés simultanément au sein maternel et au biberon, ou bien au biberon exclusif. (Annales d’hygiène 1897, tome Ier, p. 526) [1].

Un nombre considérable de maladies des femmes, dans la classe ouvrière, résulte de l’absence de soins et de repos après l’accouchement. Dans les Facultés de médecine on enseigne que :

La femme accouchée doit être alimentée comme à l’ordinaire ; pendant les 24 ou 48 heures qui suivent l’accouchement on lui fait prendre des grogs légers, et on lui donne à boire en quantité suffisante pour la désaltérer. Combien doit durer ce séjour (au lit) ? Ce n’est en moyenne que du dix-huitième au vingt-cinquième-jour, lorsqu’elle ne perd plus de sang et lorsque l’utérus est devenu organe pelvien, que la femme peut se lever sans grand inconvénient. Sans doute ce n’est qu’à une époque plus tardive que l’involution utérine est complète. Lorsque la femme commence à se lever, il faut au moins que pendant une huitaine, elle prenne des précautions, ne reste pas trop longtemps debout, et qu’à plusieurs reprise dans la journée elle garde la situation horizontale. Au bout de vingt-huit ou trente jours, on peut l’autoriser à sortir et à reprendre ses occupations. » [2]

La femme ouvrière, surtout si elle est veuve (ou isolée), si elle est fille-mère, ce qui est de plus en plus fréquent, en d’autres termes, si elle n’a pas un associé (mari, amant ou protecteur), capable de l’aider matériellement, — doit forcément renoncer à observer ces prescriptions médicales.

  1. Malgré ces faits précis et caractéristiques, ces témoignages autorisés et probants, l’Enquêteur de l’Office du travail (Poisons industriels) a essayé de contester l’influence de la toxicité du tabac sur la grossesse et l’économie générale du corps. Il invoque les affirmations incertaines de quelques docteurs (préoccupés de sauvegarder le bon renom de l’État), appelle incriminations ces faits irrécusables et fait remarquer « la forme vague qu’elles affectent le plus souvent et leur indigence en observations directes, précises et suffisamment étendues ». C’est ainsi que l’on juge les observations et les travaux des docteurs Sarré, Étienne, Jacquemont, etc. L’enquêteur semble visiblement préoccupé d’atténuer. « Amica veritas, sed magis quam amicus minister. »
  2. Précis d’Obstétrique par Ribemont-Dessaigues et Lepage.