Page:La Revue blanche, t28, 1902.djvu/630

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une bête de somme, avec cette différence, à son détriment que, du moins, la bête de somme devait être nourrie même pendant les mois de chômage.

Les ouvrières de la chapellerie. — Quelle anomalie ! Dans ce métier, comme dans tant d’autres, il n’y a aucun secours à espérer dans la maladie ni dans la vieillesse.

Blanchisseuses de fin. — Journées de 12 heures : salaire 2 fr. 50 à 3 fr. 50, 3 à 4 mois de chômage. Le salaire passe chez le crémier ou le marchand de vin. Deux ans d’apprentissage. Aucune ressource dans le chômage. Travail le dimanche (ce qui afflige les dames patronnesses, c’est moins la perte du repos que la perte des sentiments religieux).

Blanchisseuses à neuf. — L’usage du chlore rend l’ouvrière malade au bout de 3 mois de travail.

L’ouvrière des travaux de mode ou de luxe. — Il faut qu’elle soigne sa toilette, qu’elle soit bien mise, étant constamment en rapport avec nous (les dames patronnesses) dans d’élégants magasins. Ce cadre factice où elle passe ses journées contraste étrangement avec la misère de sa demeure : elle souffre de ce qu’elle n’a pas. Aussi l’immoralité est très générale dans ce milieu de jeunes ouvrières. Leur modique salaire assure à peine leur nourriture ; d’autres ressources leur sont offertes et, à l’heure de la sortie des ateliers chez les couturiers et les couturières à la mode, il est instructif pour un moraliste de voir comment les ouvrières sont attendues et escortées.

Les couturières. — La santé de ces jeunes filles est tellement compromise qu’une sœur de Saint-Vincent-de-Paul d’une des paroisses riches de Paris nous disait : « Lorsque j’apprends le mariage de l’une d’elles je suis à peu près certaine qu’elle ne vivra pas deux ans. » Malades, elles n’ont qu’une ressource, c’est l’hôpital ; vieilles, l’obole de la bienfaisance.

Polisseuses de bijoux. — La grande fatigue dans ce métier et pour la vue, qui s’y use vite. Dans ce métier comme dans tous les autres, la misère et l’hôpital pour avenir.

Bijouterie en faux. — Même absence de ressources dans le chômage, la maladie et la vieillesse ; toujours l’abandon et la misère. C’est terrible (disent les dames patronnesses des Cercles catholiques) de trouver ce refrain comme conclusion à toutes nos enquêtes ; cela fait mal à constater.

Fabrique d’enveloppes en papier. — 12 heures de travail journalier ; de 7 heures à 7 heures du soir. 1 heure de chemin pour venir à la fabrique, ce qui fait que l’ouvrière est hors de chez elle depuis 6 heures du matin jusqu’à 8 heures du soir ; elle fait 14 heures d’absence. Elle n’a donc à elle et pour son ménage que 10 heures sur 24. Malade ou vieillie, la société n’a que faire de cette femme ; d’autres sollicitent son modique salaire (1 fr. 75 ou 2 francs aux pièces) et sont bientôt hors d’état de le gagner, car la santé ne saurait résister à de tels abus. La roue de la production tourne toujours, entassant ses victimes.